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Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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caresses: mais mon cœur, incapable de savoir jamais
rien cacher de ce qui s'y passe, ne lui laissa pas longtemps
ignorer mes soupçons; elle en voulut rire; cet expédient ne réussit
pas; des transports de rage en auraient été l'effet: elle changea
de ton. Sa compatissante douceur fut invincible; elle me fit des
reproches qui me pénétrèrent; elle me témoigna, sur mes injustes
craintes, des inquiétudes dont j'abusai. J'exigeai des preuves
qu'elle ne se moquait pas de moi. Elle vit qu'il n'y avait nul
moyen de me rassurer. Je devins pressant; le pas était délicat. Il
est étonnant, il est unique peut-être qu'une femme ayant pu venir
jusqu'à marchander, s'en soit tirée à si bon compte. Elle ne me
refusa rien de ce que la plus tendre amitié pouvait accorder. Elle
ne m'accorda rien qui pût la rendre infidèle, et j'eus
l'humiliation de voir que l'embrasement dont ses légères faveurs
allumaient mes sens n'en porta jamais aux siens la moindre
étincelle.
    J'ai dit quelque part qu'il ne faut rien accorder aux sens quand
on veut leur refuser quelque chose. Pour connaître combien cette
maxime se trouva fausse avec madame d'Houdetot, et combien elle eut
raison de compter sur elle-même, il faudrait entrer dans les
détails de nos longs et fréquents tête-à-tête, et les suivre dans
toute leur vivacité durant quatre mois que nous passâmes ensemble,
dans une intimité presque sans exemple entre deux amis de
différents sexes, qui se renferment dans les bornes dont nous ne
sortîmes jamais. Ah! si j'avais tardé si longtemps à sentir le
véritable amour, qu'alors mon cœur et mes sens lui payèrent bien
l'arrérage! et quels sont donc les transports qu'on doit éprouver
auprès d'un objet aimé qui nous aime, si même un amour non partagé
peut en inspirer de pareils!
    Mais j'ai tort de dire un amour non partagé; le mien l'était en
quelque sorte; il était égal des deux côtés, quoiqu'il ne fût pas
réciproque. Nous étions ivres d'amour l'un et l'autre; elle pour
son amant, moi pour elle; nos soupirs, nos délicieuses larmes se
confondaient. Tendres confidents l'un de l'autre, nos sentiments
avaient tant de rapport qu'il était impossible qu'ils ne se
mêlassent pas en quelque chose et toutefois, au milieu de cette
dangereuse ivresse, jamais elle ne s'est oubliée un moment; et moi
je proteste, je jure que si, quelquefois égaré par mes sens, j'ai
tenté de la rendre infidèle, jamais je ne l'ai véritablement
désiré. La véhémence de ma passion la contenait par elle-même. Le
devoir des privations avait exalté mon âme. L'éclat de toutes les
vertus ornait à mes yeux l'idole de mon cœur; en souiller la divine
image eût été l'anéantir. J'aurais pu commettre le crime; il a cent
fois été commis dans mon cœur: mais avilir ma Sophie! ah! cela se
pouvait-il jamais? Non, non, je le lui ai cent fois dit à
elle-même; eussé-je été le maître de me satisfaire, sa propre
volonté l'eût-elle mise à ma discrétion, hors quelques courts
moments de délire, j'aurais refusé d'être heureux à ce prix. Je
l'aimais trop pour vouloir la posséder.
    Il y a près d'une lieue de l'Ermitage à Eaubonne; dans mes
fréquents voyages, il m'est arrivé quelquefois d'y coucher; un
soir, après avoir soupé tête à tête, nous allâmes nous promener au
jardin, par un très beau clair de lune. Au fond de ce jardin était
un assez grand taillis, par où nous fûmes chercher un joli bosquet,
orné d'une cascade dont je lui avais donné l'idée, et qu'elle avait
fait exécuter. Souvenir immortel d'innocence et de jouissance! Ce
fut dans ce bosquet qu'assis avec elle, sur un banc de gazon, sous
un acacia tout chargé de fleurs, je trouvai, pour rendre les
mouvements de mon cœur, un langage vraiment digne d'eux. Ce fut la
première et l'unique fois de ma vie; mais je fus sublime, si l'on
peut nommer ainsi tout ce que l'amour le plus tendre et le plus
ardent peut porter d'aimable et de séduisant dans un cœur d'homme.
Que d'enivrantes larmes je versai sur ses genoux! que je lui en fis
verser malgré elle! Enfin, dans un transport involontaire, elle
s'écria: Non, jamais homme ne fut si aimable; et jamais amant
n'aima comme vous! Mais votre ami Saint-Lambert nous écoute, et mon
cœur ne saurait aimer deux fois. Je me tus en soupirant; je
l'embrassai… Quel embrassement! Mais ce fut tout. Il y avait six
mois qu'elle vivait seule, c'est-à-dire loin de son amant et de son
mari; il y en avait trois que je la

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