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Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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m'aimaient pas, non seulement comme encyclopédiste,
mais parce que tous mes principes étaient encore plus opposés à
leurs maximes et à leur crédit que l'incrédulité de mes confrères,
puisque le fanatisme athée et le fanatisme dévot, se touchant par
leur commune intolérance, peuvent même se réunir comme ils ont fait
à la Chine, et comme ils font contre moi; au lieu que la religion
raisonnable et morale, ôtant tout pouvoir humain sur les
consciences, ne laisse plus de ressource aux arbitres de ce
pouvoir. Je savais que monsieur le chancelier était aussi fort ami
des jésuites: je craignais que le fils, intimidé par le père, ne se
vît forcé de leur abandonner l'ouvrage qu'il avait protégé. Je
croyais même voir l'effet de cet abandon dans les chicanes que l'on
commençait à me susciter sur les deux premiers volumes, où l'on
exigeait des cartons pour des riens; tandis que les deux autres
volumes étaient, comme on ne l'ignorait pas, remplis de choses si
fortes, qu'il eût fallu les refondre en entier, en les censurant
comme les deux premiers. Je savais de plus, et M. de Malesherbes me
le dit lui-même, que l'abbé de Grave, qu'il avait chargé de
l'inspection de cette édition, était encore un autre partisan des
jésuites. Je ne voyais partout que jésuites, sans songer qu'à la
veille d'être anéantis, et tout occupés de leur propre défense, ils
avaient autre chose à faire que d'aller tracasser sur l'impression
d'un livre où il ne s'agissait pas d'eux. J'ai tort de dire sans
songer, car j'y songeais très bien; et c'est même une objection que
M. de Malesherbes eut soin de me faire sitôt qu'il fut instruit de
ma vision: mais, par un autre de ces travers d'un homme qui du fond
de sa retraite veut juger du secret des grandes affaires, dont il
ne sait rien, je ne voulus jamais croire que les jésuites fussent
en danger, et je regardais le bruit qui s'en répandait comme un
leurre de leur part, pour endormir leurs adversaires. Leurs succès
passés, qui ne s'étaient jamais démentis, me donnaient une si
terrible idée de leur puissance, que je déplorais déjà
l'avilissement du parlement. Je savais que M. de Choiseul avait
étudié chez les jésuites, que madame de Pompadour n'était point mal
avec eux, et que leur ligue avec les favorites et les ministres
avait toujours paru avantageuse aux uns et aux autres contre leurs
ennemis communs. La cour paraissait ne se mêler de rien; et,
persuadé que si la société recevait un jour quelque rude échec, ce
ne serait jamais le parlement qui serait assez fort pour le lui
porter, je tirais de cette inaction de la cour le fondement de leur
confiance et l'augure de leur triomphe. Enfin, ne voyant dans tous
les bruits du jour qu'une feinte et des pièges de leur part, et
leur croyant dans leur sécurité du temps pour vaquer à tout, je ne
doutais pas qu'ils n'écrasassent dans peu le jansénisme, et le
parlement, et les encyclopédistes, et tout ce qui n'aurait pas
porté leur joug; et qu'enfin s'ils laissaient paraître mon livre,
ce ne fût qu'après l'avoir transformé au point de s'en faire une
arme, en se prévalant de mon nom pour surprendre mes lecteurs.
    Je me sentais mourant; j'ai peine à comprendre comment cette
extravagance ne m'acheva pas: tant l'idée de ma mémoire déshonorée
après moi, dans mon plus digne et meilleur livre, m'était
effroyable. Jamais je n'ai tant craint de mourir; et je crois que
si j'étais mort dans ces circonstances, je serais mort désespéré.
Aujourd'hui même, que je vois marcher sans obstacle à son exécution
le plus noir, le plus affreux complot qui jamais ait été tramé
contre la mémoire d'un homme, je mourrai beaucoup plus tranquille,
certain de laisser dans mes écrits un témoignage de moi, qui
triomphera tôt ou tard des complots des hommes.
    M. de Malesherbes, témoin et confident de mes agitations, se
donna, pour les calmer, des soins qui prouvent son inépuisable
bonté de cœur. Madame de Luxembourg concourut à cette bonne œuvre,
et fut plusieurs fois chez Duchesne, pour savoir à quoi en était
cette édition. Enfin, l'impression fut reprise et marcha plus
rondement, sans que jamais j'aie pu savoir pourquoi elle avait été
suspendue. M. de Malesherbes prit la peine de venir à Montmorency
pour me tranquilliser: il en vint à bout; et ma parfaite confiance
en sa droiture, l'ayant emporté sur l'égarement de ma pauvre tête,
rendit efficace tout ce qu'il fit pour m'en ramener. Après ce

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