Les Confessions
à cette
entreprise un zèle bien ridicule; car, tandis qu'ils travaillaient
sur moi, je voulus travailler sur eux. Je croyais bonnement qu'il
ne fallait que les convaincre pour les engager à se faire
protestants.
Ils ne trouvèrent donc pas en moi tout à fait autant de facilité
qu'ils en attendaient ni du côté des lumières, ni du côté de la
volonté. Les protestants sont généralement mieux instruits que les
catholiques. Cela doit être: la doctrine des uns exige la
discussion, celle des autres la soumission. Le catholique doit
adopter la décision qu'on lui donne; le protestant doit apprendre à
se décider. On savait cela; mais on n'attendait ni de mon état ni
de mon âge de grandes difficultés pour des gens exercés. D'ailleurs
je n'avais point fait encore ma première communion, ni reçu les
instructions qui s'y rapportent: on le savait encore; mais on ne
savait pas qu'en revanche j'avais été bien instruit chez M.
Lambercier, et que de plus j'avais par devers moi un petit magasin
fort incommode à ces messieurs dans l'Histoire de l'Église et de
l'Empire, que j'avais apprise presque par cœur chez mon père, et
depuis à peu près oubliée, mais qui me revint à mesure que la
dispute s'échauffait.
Un vieux prêtre, petit, mais assez vénérable, nous fit en commun
la première conférence. Cette conférence était pour mes camarades
un catéchisme plutôt qu'une controverse, et il avait plus à faire à
les instruire qu'à résoudre leurs objections. Il n'en fut pas de
même avec moi. Quand mon tour vint, je l'arrêtai sur tout; je ne
lui sauvai pas une des difficultés que je pus lui faire. Cela
rendit la conférence fort longue et fort ennuyeuse pour les
assistants. Mon vieux prêtre parlait beaucoup, s'échauffait,
battait la campagne, et se tirait d'affaire en disant qu'il
n'entendait pas bien le français. Le lendemain, de peur que mes
indiscrètes objections ne scandalisassent mes camarades, on me mit
à part dans une autre chambre avec un autre prêtre, plus jeune,
beau parleur, c'est-à-dire faiseur de longues phrases, et content
de lui si jamais docteur le fut. Je ne me laissai pourtant pas trop
subjuguer à sa mine imposante; et, sentant qu'après tout je faisais
ma tâche, je me mis à lui répondre avec assez d'assurance, et à le
bourrer par-ci par-là du mieux que je pus. Il croyait m'assommer
avec saint Augustin, saint Grégoire et les autres Pères, et il
trouvait, avec une surprise incroyable, que je maniais tous ces
Pères-là presque aussi légèrement que lui: ce n'était pas que je
les eusse jamais lus, ni lui peut-être; mais j'en avais retenu
beaucoup de passages tirés de mon Le Sueur; et sitôt qu'il m'en
citait un, sans disputer sur la citation, je lui ripostais par un
autre du même Père, et qui souvent l'embarrassait beaucoup. Il
l'emportait pourtant à la fin, par deux raisons: l'une, qu'il était
le plus fort, et que, me sentant pour ainsi dire à sa merci, je
jugeais très bien, quelque jeune que je fusse, qu'il ne fallait pas
le pousser à bout; car je voyais assez que le vieux petit prêtre
n'avait pris en amitié ni mon érudition ni moi. L'autre raison
était que le jeune avait de l'étude et que je n'en avais point.
Cela faisait qu'il mettait dans sa manière d'argumenter une méthode
que je ne pouvais pas suivre, et que, sitôt qu'il se sentait pressé
d'une objection imprévue, il la remettait au lendemain, disant que
je sortais du sujet présent. Il rejetait même quelquefois toutes
mes citations, soutenant qu'elles étaient fausses et, s'offrant à
m'aller chercher le livre, me défiait de les y trouver. Il sentait
qu'il ne risquait pas grand'chose, et qu'avec toute mon érudition
d'emprunt, j'étais trop peu exercé à manier les livres, et trop peu
latiniste pour trouver un passage dans un gros volume quand même je
serais assuré qu'il y est. Je le soupçonne même d'avoir usé de
l'infidélité dont il accusait les ministres, et d'avoir fabriqué
quelquefois des passages pour se tirer d'une objection qui
l'incommodait.
Tandis que duraient ces petites ergoteries, et que les jours se
passaient à disputer, à marmotter des prières, et à faire le
vaurien, il m'arriva une petite vilaine aventure assez dégoûtante,
et qui faillit même à tourner fort mal pour moi.
Il n'y a point d'âme si vile et de cœur si barbare qui ne soit
susceptible de quelque sorte d'attachement. L'un de ces deux
bandits qui se disaient Mores me prit en affection. Il
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