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Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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lui
envoyai quelque argent. L'année suivante, à mon passage à Paris, je
le revis à peu près dans le même état, mais grand ami de M.
Laliaud, sans que j'aie pu savoir d'où lui venait cette
connaissance, et si elle était ancienne ou nouvelle. Deux ans
après, Sauttersheim retourna à Strasbourg, d'où il m'écrivit, et où
il est mort. Voilà l'histoire abrégée de nos liaisons, et ce que je
sais de ses aventures: mais en déplorant le sort de ce malheureux
jeune homme, je ne cesserai jamais de croire qu'il était bien né,
et que tout le désordre de sa conduite fut l'effet des situations
où il s'est trouvé.
    Telles furent les acquisitions que je fis à Motiers, en fait de
liaisons et de connaissances. Qu'il en aurait fallu de pareilles
pour compenser les cruelles pertes que je fis dans le même
temps!
    La première fut celle de M. de Luxembourg, qui, après avoir été
tourmenté longtemps par les médecins, fut enfin leur victime,
traité de la goutte, qu'ils ne voulurent point reconnaître, comme
d'un mal qu'ils pouvaient guérir.
    Si l'on doit s'en rapporter là-dessus à la relation que m'en
écrivit la Roche, l'homme de confiance de madame la maréchale,
c'est bien par cet exemple, aussi cruel que mémorable, qu'il faut
déplorer les misères de la grandeur.
    La perte de ce bon seigneur me fut d'autant plus sensible, que
c'était le seul ami vrai que j'eusse en France; et la douceur de
son caractère était telle, qu'elle m'avait fait oublier tout à fait
son rang, pour m'attacher à lui comme à mon égal. Nos liaisons ne
cessèrent point par ma retraite, et il continua de m'écrire comme
auparavant. Je crus pourtant remarquer que l'absence ou mon malheur
avait attiédi son affection. Il est bien difficile qu'un courtisan
garde le même attachement pour quelqu'un qu'il sait être dans la
disgrâce des puissances. J'ai jugé d'ailleurs que le grand
ascendant qu'avait sur lui madame de Luxembourg ne m'avait pas été
favorable, et qu'elle avait profité de mon éloignement pour me
nuire dans son esprit. Pour elle, malgré quelques démonstrations
affectées et toujours plus rares, elle cacha moins de jour en jour
son changement à mon égard. Elle m'écrivit quatre ou cinq fois en
Suisse, de temps à autre, après quoi elle ne m'écrivit plus du
tout; et il fallait toute la prévention, toute la confiance, tout
l'aveuglement où j'étais encore, pour ne pas voir en elle plus que
du refroidissement envers moi.
    Le libraire Guy, associé de Duchesne, qui depuis moi fréquentait
beaucoup l'hôtel de Luxembourg, m'écrivit que j'étais sur le
testament de M. le maréchal. Il n'y avait rien là que de très
naturel et de très croyable; ainsi je n'en doutai pas. Cela me fit
délibérer en moi même comment je me comporterais sur le legs. Tout
bien pesé, je résolus de l'accepter, quel qu'il pût être, et de
rendre cet honneur à un honnête homme qui, dans un rang où l'amitié
ne pénètre guère, en avait eu une véritable pour moi. J'ai été
dispensé de ce devoir, n'ayant plus entendu parler de ce legs vrai
ou faux; et en vérité j'aurais été peiné de blesser une des grandes
maximes de ma morale, en profitant de quelque chose à la mort de
quelqu'un qui m'avait été cher. Durant la dernière maladie de notre
ami Mussard, Lenieps me proposa de profiter de la sensibilité qu'il
marquait à nos soins, pour lui insinuer quelques dispositions en
notre faveur. "Ah! cher Lenieps, lui dis-je, ne souillons pas par
des idées d'intérêt les tristes mais sacrés devoirs que nous
rendons à notre ami mourant. J'espère n'être jamais dans le
testament de personne, et jamais du moins dans celui d'aucun de mes
amis." Ce fut à peu près dans ce même temps-ci que milord maréchal
me parla du sien, de ce qu'il avait dessein d'y faire pour moi, et
que je lui fis la réponse dont j'ai parlé dans ma première
partie.
    Ma seconde perte, plus sensible encore et bien plus irréparable,
fut celle de la meilleure des femmes et des mères, qui, déjà
chargée d'ans et surchargée d'infirmités et de misères, quitta
cette vallée de larmes pour passer dans le séjour des bons, où
l'aimable souvenir du bien que l'on a fait ici-bas en fait
l'éternelle récompense. Allez, âme douce et bienfaisante, auprès
des Fénelon, des Bernex, des Catinat, et de ceux qui, dans un état
plus humble, ont ouvert, comme eux, leurs cœurs à la charité
véritable; allez goûter le fruit de la vôtre, et préparer à votre
élève

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