Les Dieux S'amusent
fanfaronnades ; mais il est trop tard pour reculer. Le
combat est bref : d’un coup de poing sous l’oreille, Ulysse étend Iros, inanimé,
sur le sol ; il le prend alors par une jambe et le traîne hors de la salle,
sous les rires des prétendants. Puis, conformément à la coutume de l’époque, il
se dispose à aller mendier, de table en table, quelques rogatons de viande ou
de pain. Le premier prétendant auquel il s’adresse est le bel Antinoos.
— Si chacun te donne autant que moi, lui dit celui-ci
en riant, on ne te reverra plus pendant trois mois ; et il lui jette un
escabeau, qui atteint Ulysse à l’épaule.
Ulysse domine sa colère et passe à la table suivante, où se
trouvait Eurymaque. Celui-ci, pour ne pas être en reste avec Antinoos, fait de
l’esprit aux dépens de la calvitie apparente d’Ulysse :
— Ton crâne est si luisant qu’on dirait une lanterne !
C’est un sujet sur lequel Ulysse est chatouilleux ; vertement,
il remet à sa place Eurymaque :
— Si Ulysse revenait, tu serais moins loquace ; tu
serais même si pressé de t’enfuir que la porte du vestibule ne te paraîtrait
pas assez large !
Vexé, Eurymaque lance à son tour un escabeau en direction d’Ulysse,
qui, cette fois-ci, parvient à esquiver le coup. L’escabeau va frapper dans le dos
un serviteur en train de servir le vin ; le serviteur s’écroule au milieu
des cris et des rires. L’un des prétendants, appelé Amphinomos, estime
cependant qu’Eurymaque est allé trop loin ; il intervient pour calmer les
esprits et suggère qu’on laisse tranquille le vieux mendiant. Ulysse remercie
Amphinomos :
— Parmi tous ceux qui sont ici, tu me parais le plus
poli ; je vais te donner un conseil : quitte cette assemblée d’insolents
avant qu’il ne soit trop tard.
Mais Amphinomos ne prend pas cet avertissement au sérieux et
se remet à manger et à boire.
L’épreuve de l’arc
C’est alors que Télémaque se lève et demande le silence. Il
annonce aux prétendants que Pénélope a décidé de choisir, le jour même, un mari
parmi eux. Pour les départager, elle a chargé Télémaque d’organiser un concours.
— L’épreuve que je vous propose, déclare Télémaque, consiste
à faire passer une flèche par les anneaux de douze haches alignées en vous
servant d’un arc qui appartenait à mon père et qu’il était le seul à pouvoir manier.
Celui d’entre vous qui réussira deviendra l’époux de ma mère ; si par
extraordinaire plusieurs concurrents réussissaient, ils seraient départagés par
une épreuve subsidiaire.
L’arc dont parlait Télémaque avait été offert à Ulysse peu
avant son départ pour la guerre de Troie. Il possédait une particularité connue
de lui seul : on ne pouvait le bander qu’après avoir débloqué, à l’aide d’un
ressort secret, une sorte de cran d’arrêt.
C’est à cause du maniement difficile de cet arc qu’Ulysse ne
l’avait pas emporté lorsqu’il était parti pour la guerre.
Croyant qu’il ne s’agissait que d’une épreuve de force et d’adresse,
les prétendants acceptent la proposition de Télémaque. Celui-ci plante lui-même
les douze haches dans le sol en terre battue de la grande salle en s’assurant
que les anneaux que porte chacune d’elles sur le côté du fer opposé au
tranchant sont bien alignés.
Il fait ensuite apporter l’arc d’Ulysse, et cent huit
flèches dans des carquois. On tire au sort l’ordre dans lequel se présenteront
les concurrents, et le concours commence.
Une dizaine de prétendants s’efforcent successivement, mais
en vain, de ployer l’arc ; ils sont éliminés. C’est au tour d’Eurymaque de
tenter sa chance. Instruit par l’expérience de ceux qui l’ont précédé, il fait
apporter de la graisse et en frotte soigneusement le bois de l’arc, après l’avoir
fait chauffer devant le feu, dans l’espoir de l’assouplir. Puis il essaie de le
bander, mais n’y parvient pas non plus. Antinoos, qui soupçonne peut-être
quelque ruse, propose alors de remettre la suite du concours au lendemain ;
les autres prétendants l’approuvent. Mais Ulysse se lève et demande l’autorisation
de faire lui-même un essai. Cette demande est accueillie par des rires et des
protestations ; seul Télémaque le soutient :
— Que le mendiant essaie sa force s’il le désire, déclare-t-il ;
de toute façon même si par extraordinaire il réussit, je vous donne ma parole
que
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