Les émeraudes Du Prophète
d’ignorance. Il était tellement bouleversé qu’il se sentait incapable d’une pensée claire. Le but qu’il croyait toucher était en train de s’éloigner sans que l’on puisse dire où il s’arrêterait… L’épuisante quête allait se poursuivre…
Le médecin qui examinait le corps avec des gestes doux, d’une grande délicatesse, se redressait, le front soucieux :
— Je crains que la grande-duchesse ne soit morte par le poison. Une autopsie peut être nécessaire… et aussi le recours à la police.
— Une autopsie, la police ? Vous êtes fou, mon ami ! gronda le général. Je ne le permettrai jamais. Ma nièce souffrait du cœur, nous le savions…
— Cependant, il y a des signes…
— Je ne veux pas le savoir !
Une voix douce et triste, celle d’Hilda von Winkleried se fit alors entendre :
— L’autopsie est inutile, dit-elle en tendant une lettre au général. La grande-duchesse se savait condamnée. Elle s’est donné la mort comme cette dernière lettre vous l’explique.
Un murmure de stupeur parcourut la chambre cependant que tous les regards convergeaient vers la pâle et fabuleuse statue qui gisait en toute sérénité sur les fourrures qui recouvraient le lit.
— Voilà pourquoi elle m’a dit qu’elle devait se rendre… ailleurs, murmura Morosini mais bien qu’il eût parlé bas, le vieil homme l’entendit et braqua sur lui un regard sans tendresse :
— Que faites-vous ici, monsieur ?… Et d’abord qui êtes-vous ? Je ne vous connais pas !
— J’étais l’invité de Son Altesse. Mon nom est Morosini… le prince Morosini de Venise !
— Et à quel titre vous avait-elle invité à ce bal de la Saint-Sylvestre où l’on ne convie jamais des étrangers ? Qu’étiez-vous pour elle ? ajouta-t-il en détaillant avec morgue la haute silhouette élégante de l’invité.
— Non, fit Aldo avec une hauteur au moins égale. Je n’étais pas ce que vous imaginez, général. En fait, nous devions traiter ensemble une affaire.
— Une affaire ? Avec une femme qui n’y connaissait rien ?
— Peut-être s’y connaissait-elle plus que vous ne l’imaginez. D’ailleurs M lle von Winkleried peut vous le confirmer, ajouta-t-il en se tournant vers la jeune fille qui suivait le dialogue. Elle était présente lors de l’entretien que j’ai eu avec la grande-duchesse en début de soirée.
— C’est la pure vérité ! dit Hilda. Il s’agissait d’une tractation…
— Portant sur quoi ?
— Des émeraudes que Son Altesse porte encore aux oreilles. Elle avait promis au prince de les lui vendre demain matin.
— Vraiment ? Eh bien, il n’en est plus question. Ces pierres entrent dans l’héritage… et l’héritier c’est moi puisque je suis le parent le plus proche.
— Un instant ! coupa Morosini scandalisé par ces froides revendications proférées à quelques pas d’un cadavre encore tiède. Que vous héritiez le titre et ce qui s’y attache comme sans doute le château ne veut pas dire que Son Altesse n’ait pas couché sur le papier ses volontés ultimes puisque, selon M lle von Winkleried elle se savait condamnée…
— Ce qui est le cas, dit Hilda. Il y a dans ce secrétaire un pli fermé par trois cachets de cire à ses armes que j’ai vu plusieurs fois et que l’on doit ouvrir après sa mort…
— Eh bien, nous allons voir cela tout de suite, reprit le général en s’avançant vers le meuble indiqué mais, avant qu’il l’ait atteint, Fritz von Taffelberg s’était jeté devant et en défendait l’accès de ses deux bras tendus :
— Personne ne touchera à quoi que ce soit tant que le notaire ne sera pas ici ainsi d’ailleurs que le bourgmestre représentant les autorités de justice et qu’il faut prévenir. Un peu de respect, messieurs, pour celle qui vient seulement de fermer les yeux et que nous pleurons tous !
Le dernier mot était de trop. Personne n’avait l’air vraiment triste. Morosini se sentit une soudaine sympathie pour ce garçon, froid, dédaigneux et sans doute brutal mais qui portait sa douleur inscrite sur son visage. Il devait être le seul, dans cette chambre funèbre, avec Hilda, à pleurer la belle Fedora dont il était, à coup sûr, passionnément amoureux.
— Vous avez raison, monsieur, dit-il gravement. C’est inadmissible et je vous offre des excuses pour avoir participé à cette discussion mais quand on me pose des questions, j’ai l’habitude d’y
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