Les émeraudes Du Prophète
Elle le cherche déjà et si on ne le retrouve pas, je n’ose même pas penser à ce qui pourrait se passer. Alors, pitié ! Où est-il ?
— Il avait une affaire à traiter à Lugano. Je pense que vous le trouverez là-bas…
Elle crut qu’il allait tomber à ses pieds :
— Ah merci !… Merci de tout mon cœur, mademoiselle ! Morosini vous remerciera lui aussi pour ce que vous venez de faire ! Vous le sauvez, tout simplement !… Vous êtes vraiment une amie !… je file prendre le train. De Bregenz j’essaierai déjà d’appeler les différents hôtels…
— C’est la meilleure solution. Bon voyage, monsieur !
Revenu à l’air libre, le faux Domenico Pancaldi qui s’appelait en réalité Alfred Ollard, sujet en partie presque égale de S. M. britannique George V et de S. M. italienne Victor-Emmanuel III, s’accorda une longue respiration de cet air des Alpes un peu frais mais tellement vivifiant. Tout s’était admirablement passé grâce à son « extraordinaire » talent de comédien et à cette bienheureuse faculté de pleurer à volonté qu’une nature, avare sur d’autres plans, lui avait concédée à titre de consolation. D’ailleurs il n’aimait rien tant que jouer la comédie et celle qu’il venait de monter pour la jeune Winkleried l’emplissait d’aise. Il regrettait seulement qu’aucun public n’eût été là pour l’apprécier : ceux qui l’employaient auraient pu découvrir de quel artiste exceptionnel ils s’étaient assuré le concours.
Seulement l’autosatisfaction s’effaça bientôt devant le problème qui se posait à lui : qu’est-ce que Morosini et son archéologue préféré pouvaient bien aller faire à Lugano alors que les émeraudes – il venait d’en avoir la confirmation – pendaient toujours aux oreilles d’une grande-duchesse allemande dont on venait tout juste de fermer le cercueil ? Aussitôt une nouvelle question se présenta à son esprit accompagnée d’une soudaine et horrible angoisse : et si les pierres étaient fausses ? À la limite ce serait logique : enfermer pour l’éternité au fond d’un caveau des bijoux aussi somptueux tenait de la démence même si l’intervention des pilleurs de tombe n’était pas à craindre : qui serait assez fou pour aller forcer une sépulture triplement gardée par les portes d’une crypte, celles d’une chapelle et enfin les défenses, médiévales sans doute mais combien efficaces, de Hohenburg ? Alors on pouvait penser que ce diable de prince expert en joyaux anciens avait pu réussir à en faire une copie, mais quand et où ? Depuis leur départ de Jérusalem lui et son complice avaient été suivis, surveillés continuellement au moyen de relais astucieusement disposés. Pendant son séjour à Paris au moment des fêtes de Noël ? Mais il n’avait rien approché qui ressemblât à un joaillier ou même à un ouvrier en chambre. Même chose en Angleterre pour Vidal-Pellicorne. Alors ?
La conclusion s’imposait d’elle-même : il fallait filer à Lugano et le plus tôt serait le mieux. Emplissant ses poumons dodus d’une grande bouffée d’air frais, Alfred Ollard prit sa course aussi vite que le permettaient ses courtes jambes vers la petite auberge de Langenfels où l’attendait son compagnon de tribulations, l’homme qui s’entendait si bien à détraquer les lignes téléphoniques…
En dépit de l’hiver, le temps était divin à Lugano où un soleil bon enfant caressait doucement les rues à arcades, les maisons à l’italienne et le beau lac autour duquel s’étalait toute la magnificence des montagnes d’Italie enneigées, à l’exception du Monte San-Salvatore boisé jusqu’au sommet. Les deux voyageurs arrivés en pleine nuit s’étaient contentés de respirer un air plus doux depuis la terrasse de la gare d’où l’on découvrait un ravissant paysage mais en prenant place, vers la fin de la matinée, dans la calèche à deux chevaux qui allait le conduire à la villa Clementina, résidence du comte Manfredi, Aldo savoura un instant le plaisir de la promenade. Le quai planté d’arbres se continuait par une route en bordure du lac d’où l’on découvrait les collines couvertes de vignes et de jardins que les bois de châtaigniers et de noyers offraient comme un écrin sombre. Jolis villages et villas ponctuaient le paysage.
Celle du comte Manfredi érigée sur des jardins en terrasse descendant jusqu’au lac était l’une des
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