Les émeraudes Du Prophète
d’entrer chez les gens sans y être invité, tu verras que, si l’on veut faire les choses proprement, ça demande du soin, donc du temps !
— D’accord, mais selon moi tu as pris celui de lire le livre en entier.
— Il aurait fallu que je le trouve.
— Il n’y est plus ?
— Non. J’avais pourtant bien repéré l’endroit de la bibliothèque où il a sa place mais impossible de mettre la main dessus. J’ai cherché un peu partout, tu penses bien !… même dans la chambre de sir Percy en pensant que peut-être il l’avait à son chevet…
— Tu as osé ?
— Pourquoi pas ? La maison est vide comme ma main. Allez ! On rentre !
Sans plus parler, les deux hommes rejoignirent leur voiture. Aldo se réinstalla au volant, effectua une rapide marche arrière et reprit le chemin de l’hôtel.
Le lendemain matin, M me de Sommières, Marie-Angéline, Morosini et Vidal-Pellicorne quittaient Jérusalem en voiture pour rejoindre Jaffa et le bateau de Louis de Rothschild qui allait remonter sur Tripoli afin de laisser les deux hommes à la gare du Taurus-Express avant de ramener les deux dames à Nice où la marquise venait de décider de faire une halte :
— Ce sera moins triste ! dit-elle. Après tout ce soleil, je n’ai aucune envie de regarder pleurer les arbres du parc Monceau…
Le soleil en question brillait joyeusement sur l’indigo scintillant de la Méditerranée, pourtant en regardant s’éloigner le vieux minaret de Jaffa, Aldo ressentit une sorte de déchirure parfaitement désagréable. La lettre de Lisa disait qu’elle n’était plus dans la Ville Sainte et il voulait bien la croire mais il n’en était pas moins persuadé qu’elle était quelque part dans cette terre de Palestine qui s’étirait jusqu’aux déserts derrière les sables et les rochers de cette côte séduisante. Un jour – le plus tôt possible ! – il faudrait bien qu’elle la lui rende… En attendant, c’était bigrement dur de s’éloigner !…
Deuxième partie
LA VOYANTE
CHAPITRE IV
LA MAISON VIDE
La bibliothèque municipale de Dijon se partageait avec l’école de droit, dans la rue du même nom, les bâtiments de l’ancien collège des Godrans où les Jésuites dispensaient jadis la culture solide dont bénéficièrent Bossuet, Buffon, Crébillon, La Monnoye, Piron et quelques autres grands esprits des XVIIe et XVIIIe siècles. Les maîtres avaient disparu, chassés par une République sourcilleuse mais le savoir restait dans les multiples armoires et rayonnages dont étaient garnis les murs de l’ancienne chapelle aux belles voûtes arrondies. C’est là qu’au terme d’un voyage ferroviaire épuisant en dépit du confort raffiné de l’Orient-Express, atterrirent Morosini et Vidal-Pellicorne.
Le maître des lieux était alors un charmant vieux monsieur à barbiche poivre et sel, tiré à quatre épingles dans un veston noir de bon faiseur et qui, avec ses guêtres grises et ses mains soignées, s’accordait au noble décor. Il reçut ses visiteurs avec cette courtoisie, ce grand ton de politesse dont la province semblait avoir gardé le secret après une guerre dévastatrice sur tous les plans et dans ces années folles où il paraissait urgent d’oublier le passé, tous les passés. M. Gerland, lui, savait encore accueillir, avec un solide accent bourguignon, un archéologue connu et une altesse vénitienne experte en joyaux célèbres qui ne l’était pas moins.
Naturellement, l’ouvrage du voyageur bourguignon du XVe siècle faisait partie de ses trésors et, après une courte attente, il vint déposer sur son bureau un superbe in-quarto portant sur sa couverture de velours rouge orné de plaques d’argent les grandes armes du duc de Bourgogne, Philippe le Bon. Morosini leva un sourcil surpris :
— Oh, le manuscrit original ?
— En effet. C’est celui que La Broquière offrit à son maître au retour de son voyage. J’ai pensé que vous seriez heureux de le voir !
— Une pensée bien délicate, monsieur, dit Aldo en posant ses longues mains à la fois fortes et fines sur le précieux volume pour le caresser…
— … mais, enchaîna Adalbert, le vieux français est d’une lecture malaisée pour qui ne sort pas de l’école des Chartes. Vous n’auriez pas un exemplaire plus récent, plus lisible… et moins précieux ?
Un nuage passa sur l’aimable visage si doucement fleuri du conservateur :
— C’est que, justement, nous n’en
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