Les émeraudes Du Prophète
traduisant simultanément les phrases déjà connues et continua :
— « Nous eûmes forte impression de ce prince dont nous sûmes le trépas au jour suivant. Il fut vilainement meurtri et navré dans les étuves de son palais après quoi beaucoup de gens furent mis à mort mais sans que l’on eût la certitude que le meurtrier soit parmi eux. Plus tard, une chose merveilleuse est advenue alors que, dans la ville d’Andrinople, nous fut donné l’honneur d’être présenté au sultan Murad, deuxième du nom, à qui venait de naître un troisième fils du nom de Mehmed. Et c’est alors que nous pûmes voir briller sur sa poitrine de part et d’autre d’une grosse perle les smaragdins que portait naguère encore le prince de Damas mais, craignant quelque sombre secret, nous ne cherchâmes pas à en apprendre plus avant.
La suite ne présentait plus d’intérêt pour les visiteurs. Ils remercièrent le savant traducteur qui ne leur accorda, en échange, qu’un grognement dont on ne savait trop s’il était de satisfaction ou d’indifférence avant de se ruer vers la porte en faisant voltiger les basques de sa redingote, puissant et redoutable comme Léviathan en personne. La séparation d’avec l’aimable M. Gerland fut infiniment plus courtoise, après quoi l’on regagna l’hôtel de la Cloche qui était alors l’un des meilleurs de France… Là, tout en dégustant un plat d’escargots fleurant bon l’ail, arrosés d’un joli Chablis, et un somptueux coq au Chambertin accompagné du même, on fit le point de la situation :
— Cela fait peut-être beaucoup de kilomètres pour une mince information, constata Adalbert, mais je ne les regrette pas, car ce que nous venons d’apprendre nous donne une bonne chance de remonter l’Histoire assez rapidement.
— Ce qui veut dire ?
— Que si les émeraudes sont entrées, avec Murad II, dans le trésor des sultans ottomans, il y a une grande chance pour qu’elles y soient encore. Ces gens-là n’ont jamais lâché facilement ce sur quoi ils mettaient la main. Tu connais un peu leur histoire ?
— Pas trop mal à partir de Mohammed II mais guère avant.
— Eh bien, il ne t’en manque pas beaucoup parce que ton Mohammed n’est autre que le gamin Mehmed qui vient de naître à Andrinople au moment où La Broquière s’y trouvait. Il n’était alors que le troisième fils de Murad mais, par la mort de ses deux frères, il est devenu le premier. C’est l’homme qui, à vingt et un ans, conquit Byzance au moyen d’un fantastique coup d’audace : en faisant passer ses galères du Bosphore dans le port de la Corne d’Or en franchissant, de nuit, la colline sur des rondins huilés et enduits de savon. Un tel homme n’a jamais lâché ses proies et nous avons peut-être une chance de retrouver nos pierres dans le trésor du sérail à Istanbul…
— Ce serait trop beau ! soupira Morosini en promenant une narine frémissante au-dessus de la large bulle de cristal dans laquelle il faisait tourner doucement son Chambertin. Et je te rappelle qu’il n’y a plus, là-bas, de sultans ! Alors le trésor…
— Je peux t’assurer qu’il est toujours là. D’abord il n’y a pas si longtemps que le dernier des sultans est parti pour l’exil et si vite qu’il n’a rien pu emporter. En outre, le nouveau maître du pays, Mustafa Kemal dit Atatürk, n’est pas homme à dilapider ce fabuleux amoncellement d’or, de diamants et de pierres de toutes sortes qui selon lui appartient au peuple dont il se veut le guide incorruptible donc le simple dépositaire de la fortune.
— Il se peut que tu aies raison. Autrement dit : on reprend le cher vieil Orient-Express ?
— D’abord on rentre à Paris. Pour changer au moins le contenu de nos valises. En outre il faut que je voie l’ambassadeur de Turquie afin d’obtenir sa recommandation auprès de son gouvernement et du gardien du Trésor, à Topkapi Saraï. J’ai assez de titres et de relations pour que cela ne pose pas de problème, ajouta-t-il avec un air qui fit sourire son ami.
— Et modeste, avec ça ! En même temps tu pourras penser à la manière de faire sortir les pierres sans y laisser nos têtes au cas où elles y seraient encore. D’accord ! On va à Istanbul mais d’abord…
— Tu veux faire un tour chez toi, à Venise ?
— Non. À aucun prix ! Rentrer à la maison sans Lisa, c’est impossible. Guy Buteau en serait malade et j’ai besoin qu’il
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