Les émeraudes Du Prophète
avait tort de se tourmenter à ce point : les pierres maudites ne causaient-elles pas la perte de celui qui les possédait et les portait ?
— Eh bien, pas cette fois. L’homme, je te l’ai dit, était le Diable incarné : la chance semblait s’attacher à lui. Jamais ses rapines n’avaient été si fructueuses, jamais ses appétits de pouvoir et de richesses si violents. Au point qu’il décida un beau jour de cesser de payer le tribut annuel de deux mille ducats qu’il devait au Sultan en tant que son vassal. Mehmed patienta cinq ans. Ensuite il rassembla une armée pour aller attaquer l’impudent personnage mais, en fait, le tribut impayé n’était qu’un prétexte. Deux raisons secrètes motivaient Mehmed : d’abord il voulait retrouver Radu, le jeune frère de Vlad, aussi beau que celui-ci était laid. Remis comme otage à la Sublime Porte au moment de la conquête de la Valachie par Murad II, le jeune garçon avait été élevé à Andrinople et Mehmed, depuis toujours, en était amoureux. Amour non payé de retour : Radu avait peur de Mehmed et, à la première occasion, il réussit à prendre la fuite, ce dont le nouveau sultan ne se consolait pas. En outre, il avait appris que l’Empaleur possédait un bijou volé à son père au moment de sa mort – il ignorait et ignora toujours par qui ! – et décida qu’il était temps, pour les émeraudes comme pour Radu, de réintégrer le Sérail. Tu devines avec quel effroi Huma khatoun considéra les préparatifs de son fils. Certes, elle déplorait que les pierres fussent perdues pour sa communauté mais elle éprouvait une véritable épouvante à l’idée de les voir reparaître sur la poitrine ou au turban de Mehmed.
« Pendant ce temps Vlad, s’attendant à être attaqué, avait demandé l’aide de son suzerain naturel le roi de Hongrie Mathias Corvin : quand arriverait le Sultan, il trouverait à qui parler…
« Or Mehmed n’était pas fou et, comme son père, il ménageait le sang de ses hommes. Sur le conseil de son grand vizir, Mahmoud pacha, il envoya une ambassade à Vlad, l’invitant à venir – avec son jeune frère ! – discuter de la situation. Pour toute réponse, Drakul, après avoir fait clouer le turban de cérémonie sur la tête du chef de la délégation, fit empaler tout le reste. Après quoi il lança son armée sur les positions turques de Valachie, pillant, incendiant, étripant tout ce qui bougeait. Rien ne pouvait plus retenir Mehmed qui s’avança en personne contre cet ennemi diabolique. Après plusieurs combats Vlad dut fuir en Hongrie où il fut emprisonné pour lui apprendre à faire la différence entre ses alliés et ses ennemis lorsqu’il s’agissait de sa distraction favorite : Vlad s’était oublié jusqu’à faire tâter du pal à quelques Hongrois. Pendant ce temps Mehmed, en pleine lune de miel avec Radu, intronisait le jeune homme en tant que voïvode de Valachie aux lieu et place de son frère sous la protection des troupes turques…
« Mais tenir sous clef un homme aussi attaché à sa liberté que l’était Vlad relevait du rêve. Après plusieurs années, le diable réussit à se sauver, rentra en Valachie où il n’eut guère de peine à retrouver des partisans tant le joug turc appliqué cette fois avec la dernière rigueur soulevait de colère. Radu, lui, passait plus de temps à la cour que sur ses terres, où d’ailleurs il avait peine à se maintenir ayant été dans l’impossibilité de mettre la main sur le trésor de son aîné. C’est dire que, retrouvant sa fortune intacte, Vlad put faire quelques promesses, payer des troupes et se lancer à l’assaut de ses anciens domaines qu’il réussit à reconquérir. Sans convaincre cependant sa femme – une Hongroise parente du roi Mathias – et son fils de le rejoindre. Les tueries recommencèrent mais limitées aux seuls captifs : Vlad avait trop besoin de ses troupes pour s’amuser avec. D’ailleurs, mû par une naturelle vaillance, il n’écouta plus que son besoin de chasser à jamais le Turc d’un pays pour lequel il se découvrait une sorte d’amour. Ce furent deux ans de combats acharnés à la fin desquels l’Empaleur trouva enfin la mort. On dit que son corps repose sous un tumulus élevé au milieu d’une petite île dans le lac de Snagov, non loin de Bucarest, où il avait établi son refuge et celui de son trésor, mais on dit aussi que le tumulus n’abrite aucun corps, que le cercueil est
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