Les émeraudes Du Prophète
volonté et de laisser parler ton instinct…
— N’y vois pas une offense à ta beauté mais je ne pourrai jamais !
— Je crois que si. Je vais t’aider… Bois encore un peu de café !
Il obéit machinalement tandis que, par trois fois, elle frappait dans ses mains. Une musique douce commença dans la pièce voisine et la servante reparut. Sans qu’un mot soit prononcé, elle vint ôter la tiare d’or ciselé qui coiffait sa maîtresse et qu’elle emporta. Salomé alors se dressa sur ses pieds nus où tintaient des anneaux et se mit à danser. Une danse lente, quasi hiératique, celle d’une prêtresse faisant offrande à son dieu. Par trois fois, elle s’agenouilla devant Aldo sans perdre le fil de la musique, se relevant chaque fois d’une souple torsion des reins, puis elle s’écarta en abandonnant un premier voile aux pieds de l’homme qui le ramassa, gagné par une étrange fascination et pour qui, soudain, le temps s’arrêta, emportant la réalité, à mesure que la danse déroulait ses figures voluptueuses dont le rythme s’accélérait peu à peu. Il n’était plus un Européen perdu aux confins de deux mondes mais un roi des temps anciens regardant s’animer et se dévoiler pour lui une admirable statue. L’une après l’autre s’envolaient les mousselines brodées révélant toujours plus nettement un corps dissimulé encore par une large ceinture orfévrée incrustée de perles, de corail et de pierres fines comme le large pectoral ciselé que les seins orgueilleux supportaient sans faiblir, les pendants d’oreilles et les nombreux bracelets habillant les bras minces et les chevilles. Aldo sentait la sueur couler le long de son dos cependant que son esprit s’embrumait curieusement et que son désir s’éveillait. Surpris il pensa un instant au goût particulier du café mais le spectacle était trop fascinant pour qu’il trouvât encore le courage de le faire cesser.
Enfin le dernier voile tomba tandis que la danse atteignait un paroxysme. Le pectoral glissa à terre et aussi la ceinture avant que Salomé vînt s’abattre nue et haletante aux pieds de Morosini dont elle enlaça les chevilles. Dans un dernier sursaut, il se leva pour fuir l’enchantement mais elle était à genoux à présent et, tout en l’enveloppant de caresses, elle remonta le long de son corps comme une branche de lierre et commença à le dévêtir. D’un geste instinctif il voulut la repousser et, pour ce faire, posa les mains sur elle. Et cessa de résister… Sa peau était douce et le parfum qu’elle exhalait agissait lui aussi comme un philtre. Un instant plus tard ils s’abattaient ensemble au milieu des coussins. Aldo oublia tout. Mais lorsqu’il la prit, il eut la plus forte des surprises : Salomé était vierge…
Elle sentit son sursaut et l’enlaça plus étroitement encore :
— Chut ! souffla-t-elle. Il fallait qu’il en soit ainsi…
Plus tard, il demanda :
— Pourquoi fallait-il qu’il en soit ainsi…
— Parce qu’il y a très longtemps, un homme est mort d’avoir refusé le don que je t’ai fait aujourd’hui…
— Mais c’est stupide ! Je ne suis pas le Baptiste et tu n’es pas fille d’Hérodiade…
— Peut-être l’avons-nous été ? Qui peut savoir ?… En tout cas, lorsque je t’ai vu, l’autre soir, j’ai su aussitôt que tu étais celui qui devait venir, celui pour qui je me gardais…
Il s’écarta d’elle aussitôt.
— Quelle folie ! Entendons-nous bien, Salomé ! Je t’ai aimée parce que tu l’as voulu, parce que tu as mis ce prix à ce que j’ai désespérément besoin d’apprendre… et aussi parce que tu es très belle et que je ne suis qu’un homme.
— Tu regrettes ?
Il haussa les épaules, se releva, drapant ses reins d’un des voiles abandonnés pour chercher une cigarette qu’il alluma.
— Je mentirais si je niais que tu m’as fait vivre un moment… inoubliable, mais sache-le bien, nous ne le renouvellerons jamais…
— Tu as peur que je m’accroche ? Non, sois sans crainte ! Tu partiras libre et je ne te demanderai plus rien. Au contraire, c’est à moi de remplir ma part… du marché !
Le mot était venu avec tant de tristesse qu’Aldo revint s’asseoir au bord du divan et prit l’une des mains de la jeune femme sur laquelle il posa un baiser rapide.
— Le mot est trop laid pour ce que tu m’as fait vivre. Accord lui conviendrait mieux, quand deux êtres composent ensemble une
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