Les émeraudes Du Prophète
d’attendre. Quelques jours plus tard, à la suite d’un banquet copieux, Murad fit appeler son épouse favorite qu’il désirait honorer mais, au cours de la nuit, celle-ci cria au secours : Murad étouffait. Il mourut dans l’heure suivante et, en regagnant ses appartements, Huma khatoun, « l’oiseau du paradis », emportait les deux émeraudes qu’elle avait détachées de leur chaîne.
« Elle n’avait pas encore gagné : il lui était impossible de les garder près d’elle au harem, plus impossible encore de sortir du palais pour rejoindre la petite communauté juive d’Andrinople. Elle joua, alors, un coup risqué en allant raconter son histoire à la première épouse : elle ignorait quels sentiments une authentique princesse pouvait lui porter.
« Or, elle trouva une compréhension…
« Mara, la princesse serbe, était chrétienne et supportait mal d’avoir été livrée à l’Infidèle même avec le titre de sultane. Certes, elle n’avait pas connu l’humiliation de l’esclavage et son mariage était le résultat d’une combinaison politique. On ne sait rien de ses sentiments envers Murad mais, après la mort du fils qu’elle lui avait donné et qui aurait dû régner, elle s’était désintéressée de la vie de cour sauf en ce qui concernait la seconde épouse, cette femme qu’elle savait malheureuse, déchirée qu’elle était entre les racines qu’on étouffait en elle – Mehmed II fera courir plus tard le bruit que sa mère était une princesse française ! – et l’amour qu’elle portait à un fils élevé dans les strictes lois d’une religion qu’elle haïssait.
« Murad mort, Mara obtint du nouveau souverain, qui savait ce que sa mère lui devait, la permission de revoir son pays natal, son père et ses frères. Elle partit donc pour Semendria, la capitale de George Brancovitch, et ce fut elle qui emporta les émeraudes dans l’intention de les remettre à la communauté juive de son pays. L’idée de les conserver ne l’effleurait même pas : elle savait la charge de malédiction attachée à ces bijoux. En outre, elle savait que l’amitié laissée derrière elle était des plus précieuses étant donné l’amour que le nouveau maître portait à sa mère. Une alliance sans prix. Et elle était bien décidée à accomplir scrupuleusement ce qu’elle avait promis. Malheureusement…
— Allons bon ! Il y a un malheureusement ?
— Il y en a toujours quand il s’agit d’objets sacrés souillés de sang. L’escorte qui ramenait la princesse au foyer paternel fut attaquée par le pire des seigneurs pillards de ce pays et aussi de l’époque : le voïvode de Valachie, Vlad Drakul, un homme dont la réputation de cruauté faisait trembler les Turcs eux-mêmes. On l’avait surnommé Tepech – l’empaleur ! – parce qu’il prenait un vif plaisir à ce genre de supplice au point, dit-on, d’aimer à prendre ses repas au milieu d’un buisson fait de pauvres gens agonisant sur ses pieux effilés…
— Charmant personnage ! soupira Morosini avec une grimace de dégoût. Fit-il subir ce sort à la princesse ?
— Tout de même pas. C’eût été trop grave. Brancovitch était un grand prince et un homme puissant. Il se contenta de la faire dépouiller par des gens à lui qu’il fit semblant de faire rechercher et quand Mara atteignit Semendria, les émeraudes n’étaient plus dans ses coffres…
Morosini fit la grimace. S’il fallait à présent chercher ces sacrées pierres dans le dédale des pays balkaniques, les choses allaient encore se compliquer. Pourtant une autre question lui venait à l’esprit :
— Mais comment as-tu pu savoir tout cela ?
— Je descends de la suivante favorite d’Huma khatoun, qui lui servait de liaison avec la princesse Mara. Celle-ci, d’ailleurs, est venue finir ses jours à Constantinople, une fois la ville conquise par Mehmed qui lui vouait une réelle amitié. Une affaire d’amour ancien l’y aurait ramenée. Mon aïeule possédait elle aussi le don de voyance et les trois femmes se virent beaucoup. Huma se tourmentait pour les pierres sacrées tombées en de si mauvaises mains, pires encore que celles des Turcs. Elle n’eut de cesse de pousser son fils contre Vlad qui était son vassal depuis que Murad avait conquis la Valachie. Elle et Mara savaient que le démon – Dracul veut dire diable ! – avait fait monter les émeraudes en agrafes qu’il portait à son chapeau.
— Elle
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