Les émeraudes Du Prophète
lui arrive d’y résider mais quand il vient seulement prendre la température d’une ville qu’il aime, il a ici cet appartement qu’on lui réserve et où il se sent bien. Il y a même ses pendules préférées. Naturellement, il est toujours sévèrement gardé mais j’ai réussi, tout de même, à être reçu par lui en faisant semblant de me tromper de chambre. Je ne te cache pas qu’il s’en est fallu de peu que je devienne ton voisin de cellule à la prison mais enfin je me suis fait entendre… et tu connais la suite. Maintenant sors de là, viens manger ce que j’ai fait monter et raconte-moi ton aventure !…
— Encore un mot ! Tu lui as dit ce que nous cherchions au juste, ici ?
— Oui. Ce n’est pas un personnage à qui il faut risquer de mentir et je crois n’avoir jamais rencontré quelqu’un d’aussi froid et d’aussi distant : le pôle Nord en personne, mais il sait écouter et trier le vrai du faux. Et la seule condition qu’il a mise à son intervention était que jamais les émeraudes ne devaient reparaître ici.
— Il sait aussi pourquoi nous les cherchons ?
— Oui et il souhaite que nous réussissions. Retournées en Palestine, elles ne seront plus dangereuses car le rabbin les cachera et plus personne, en remontant leur histoire, ne risquera d’apprendre que Mehmed le Conquérant était juif puisque né de mère juive. Naturellement, ledit rabbin ne devra rien savoir de leur parcours et j’ai engagé notre parole d’en garder le secret.
— Tu as bien fait de tout lui dire. Ta franchise est la meilleure garantie de notre parole…
À son tour et tout en dégustant avec un plaisir infini une nourriture décente, Morosini retraça pour son ami, sans en rien omettre, sa nuit dans la maison de Salomé. À sa surprise, Adalbert ne réagit pas lorsqu’il en vint au moment crucial. Pas aussi énergiquement qu’il aurait pu le craindre même en picorant un loukhoum à la rose :
— Tu y as pris plaisir ?
— Oui. Même si cela doit te faire horreur, j’avoue l’avoir désirée violemment et avoir connu une intense jouissance…
— Si elle vivait encore, tu retournerais vers elle ?
— Jamais. Je lui avais dit adieu et rien au monde ne m’aurait ramené…
— Coucher avec une femme pour sauver celle que l’on aime, c’est une situation peu banale. Pour un homme, tout au moins. Pas mal de femmes l’on connue dans l’Histoire. Pourquoi me ferais-tu horreur ? À cause de Lisa ?
— Bien entendu. Je l’aime tant que je n’aurais jamais cru possible de désirer une autre femme et plus encore de la posséder… J’en éprouve une honte infinie…
— Eh bien, essaie de l’oublier et ne va surtout pas, quand tu reverras ta femme, te livrer aux joies dostoïevskiennes de la confession avec battements de coulpe et cendres sur la tête. Salomé est morte et nous sommes seuls à connaître le prix que tu as payé un renseignement. Tu m’as bien compris ?
— Je t’ai compris. Sois tranquille, je n’ai pas d’ancêtres russes !
— Parfait. Alors, ce renseignement ?
En quelques phrases Aldo fit un récit concis de ce que lui avait appris la voyante :
— Il n’y a aucune raison qu’elle se trompe. Les émeraudes doivent être chez la descendante de Vlad Drakul…
Les sourcils d’Adalbert remontèrent jusque sous la mèche folle qui lui tombait toujours sur le front :
— Vlad Drakul ? Ne me dis pas que tu vas me traîner chez la fille de Dracula ?
— Pas du tout ! Vlad l’Empaleur était un seigneur…
— Je sais de qui il s’agit mais je sais aussi qu’il a servi de modèle à l’Américain Bram Stoker pour créer son personnage. Ne me dis pas que tu n’as jamais lu le bouquin ?
— Ma foi, non. Pour moi, Dracula c’est un personnage fabriqué par le cinéma…
— Grosse erreur ! Il a été fabriqué par un écrivain à partir d’une espèce de croquemitaine de Transylvanie. Elle habite où ta descendante ?
— En… Transylvanie. Attends, je l’ai noté parce que ce n’est pas un nom facile…
Aldo alla prendre sur la table le calepin qu’on lui avait rendu avec ses autres possessions et le feuilleta. Mais il eut beau chercher et reprendre le petit livret page par page, il ne retrouva pas celle où il avait écrit sous la dictée de Salomé. Il releva sur son ami un regard soucieux :
— Il n’y est plus. La page a été arrachée…
— Ah !… Et toi, l’homme à la fabuleuse
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