Les galères de l'orfêvre
intriguer encore. Être là où le roi regarde.
— Vous n’avez pas assez dormi, dit-elle en lui ouvrant les bras. Et le jour n’est pas encore levé.
Quel homme serais-je, pensa-t-il, pour refuser pareille invite ? Il se pencha et la baisa sur la bouche. Les bras de la jeune femme se nouèrent sur sa nuque et il la laissa l’entraîner contre elle.
Elle l’allongea et elle monta sur lui. Ses mains couraient et défaisaient sans une hésitation les lacets qu’il fallait dénouer. Il y avait dans chacun de ses gestes quelque chose d’obscur et de sauvage, de tendre et de désespéré. Elle semblait prendre plaisir à frotter sa chair nue contre la rudesse de ses vêtements, à fouiller de sa féminité parmi la pagaille des cuirs défaits, à le guider de ses doigts jusqu’au plus profond d’elle. Il l’admira offerte, abandonnée. Sur l’assise de ses cuisses, le bassin, le buste de Delphine, ondulaient et vibraient d’une énergie mal contenue. Une ride verticale se creusait entre ses sourcils comme chaque fois qu’elle s’appliquait. Ses joues étaient rouges de l’effort. De minuscules gouttelettes de sueur couvraient sa lèvre supérieure. Alors, il se laissa prendre à ce jeu, posa ses longues mains sur les hanches découvertes et mouillées, s’emporta à son tour, tangua avec elle jusqu’à sentir son souffle court, jusqu’à voir ses paupières se cerner de bleu et son regard fuir à l’intérieur d’elle-même.
3.
À la fin, il prit son épée, son chapeau et monta le cheval qu’on lui avait préparé, bien décidé à rattraper le temps qu’ils venaient l’un et l’autre de se donner.
Il les vit à l’entrée du chemin qui menait à la propriété de Mme de Beaumont : une voiture faiblement éclairée et des cavaliers debout à côté de leurs chevaux. Guillaume s’approcha sans se presser. Il cherchait à deviner derrière les ombres que l’aube bleuissait. La luminosité du ciel était très faible. Par endroits, de grands étendards de ciel noir secouaient encore des poussières d’étoiles.
Un homme massif venait au-devant de lui avec une lanterne à la main, un homme au visage carré, portant perruque, enveloppé dans un grand manteau de fourrure et avec de fortes bottes aux pieds. Il l’avait déjà rencontré mais il mit quelques minutes à mettre un nom sur ce visage qu’éclairait mal la lanterne. C’était à un dîner, le mois dernier, chez Mme de Beaumont. M. de Saintonges, c’était cela. Un ancien officier, blessé à Nördlingen.
— Monsieur, dit l’homme en lui tendant la main, nous vous attendions, l’abbé, mon épouse et moi-même.
Il avait une soixantaine d’années, un ventre rond, une rigidité toute militaire et une figure qui s’écartait tout en longueur, comme une pâte à pain, quand il essayait de sourire.
— Votre palefrenier a renseigné le mien sur votre intention de partir, ce matin, pour Versailles, et j’ai pensé…
Son épouse, avait-il expliqué, était appelée à Paris au chevet d’une tante malade et il ne pouvait l’accompagner, des raisons impératives le retenant sur ses terres de Bourgogne jusqu’à la fin de la semaine. Or il était inquiet. Les routes n’étaient pas sûres. Ils avaient failli tomber dans une embuscade lors de leur précédent voyage.
Les chevaux grelottaient et fumaient des naseaux. De la vapeur sortait également de sa bouche à chacune de ses phrases et il frottait ses mains l’une contre l’autre pour se donner une contenance.
— Ni l’abbé Sudre notre confesseur, ni mes gens qui ne sont plus de la première force ne me semblent une protection suffisante. Si vous aviez la bonté de vous joindre à eux… votre épée, que je sais redoutable, alliée à notre nombre…
Guillaume s’apprêtait à refuser, arguant de rendez-vous urgents qui ne pouvaient souffrir le retard qu’occasionnerait à l’évidence le rythme plus lent de l’équipage. Ce fut alors que la portière du carrosse s’ouvrit sur Mme de Saintonges. Elle se pencha légèrement pour se mettre sous la lumière des torches. On vit d’abord sa jambe, puis sa tête.
— Monsieur, dit-elle en papillonnant des yeux, ce serait pour moi un tel réconfort.
Derrière elle, la masse confuse des forêts bougeait lentement dans le vent. Des coqs chantaient dans les lointains. Elle avait à peu de chose près le même âge que son mari, mais belle encore, d’une beauté crépusculaire et elle avait renouvelé
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