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Les galères de l'orfêvre

Les galères de l'orfêvre

Titel: Les galères de l'orfêvre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Christophe Duchon-Doris
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d’une invitation surnaturelle qui pourrait le contraindre à sortir son épée du fourreau et à sauter par la fenêtre à la poursuite d’une proie.
    — Guillaume ?
    Delphine avait à peine murmuré et il ne l’avait pas entendue. Elle s’étira comme un chat puis se blottit sur elle-même, repliée sous le drap et elle se dit qu’elle pourrait se contenter de cela : rester à son côté, toute la vie, simplement à le regarder. Et puis faire un enfant.
    Quelque chose se noua dans son ventre. Il était trop tôt, elle le savait bien, pour s’alarmer. Cela faisait maintenant près de six mois qu’ils étaient revenus du Mississippi. Six mois qu’elle s’était réfugiée ici, en compagnie de sa mère, Mme d’Orbelet, dans cette propriété que Mme de Beaumont, vieille amie de sa marraine Mme d’Astuard, avait eu la gentillesse de mettre à leur disposition. Loin de Paris, loin de Versailles. Six mois qu’elle le gardait pour elle. Mais six mois qu’il ne tenait pas en place, à hanter sans cesse les ministères, dans l’attente de cette lettre du roi qui lui donnerait la charge de procureur promise en rémunération de ses services. Peut-on faire un enfant, pensa-t-elle, quand on a toujours l’esprit ailleurs ?
    Guillaume posa la plume avec laquelle il était en train d’écrire. Il pivota. Elle ferma les yeux et fit mine de dormir. Elle entendit son pas. Le craquement de ses bottes. Elle devina son souffle. Peut-être était-il juste au-dessus d’elle. Penché sur elle. Elle attendit une caresse, un baiser.
    Guillaume écarta les rideaux et regarda la lumière de l’aube peu à peu prendre possession des grandes allées et des rangées de buis. Il avait froid et se sentait fatigué. Dans moins d’une heure, il lui faudrait encore reprendre la route vers la capitale. Ces séjours à Paris et à Versailles l’épuisaient et il s’en revenait à chaque fois un peu plus aigri et dégoûté de l’époque. Dans quelque direction qu’il se tournât, il ne trouvait matière qu’à découragement. Le règne de Louis le Quatorzième n’en finissait pas. Le royaume de France sentait l’automne, la nature en décomposition, les feuilles mortes. Il n’était plus qu’une vaste machine à lever l’impôt et à faire la guerre, une immense machinerie dont les rouages cliquetaient dans le vide. Était-ce d’avoir respiré l’air des grands espaces américains ? D’avoir connu le Nouveau Monde ? Guillaume se sentait désormais à l’étroit dans cette France vieillissante et malade. La plaie rouverte par la révocation de l’édit de Nantes n’en finissait pas de saigner. La guerre de Succession d’Espagne dans laquelle le roi avait entraîné le royaume dressait contre le pays la coalition redoutable de l’Empire, de l’Angleterre et des Provinces-Unies. La milice était rétablie. La disette revenait dans les campagnes. L’on ne parlait plus à Versailles que de la révolte des camisards. Oui, pensa-t-il, la France se meurt lentement, comme son roi, fatigué de tant de batailles.
    Il soupira. À quoi se raccrocher ? Il se retourna vers Delphine. Il s’approcha à pas de loup et étudia sa respiration. Elle faisait semblant de dormir. D’un geste rapide et souple, il ôta brusquement le drap qui la recouvrait. Elle portait une simple chemise qui laissait nus ses jambes et ses bras.
    Guillaume de Lautaret observait sa jeune épouse en silence. Tout était chez Delphine d’une beauté désarmante : la blancheur de son teint rehaussé de taches de rousseur, la perfection des lèvres et du nez, le menton volontaire, les cheveux ébouriffés, frisés, d’une broussaille savante, qui flattaient l’ovale du visage et la délicatesse du cou et des épaules. La chemise fendue laissait deviner, sous une dentelle blanche, le soulèvement ferme des seins. Mais ce fut plus bas que sa main se posa, au genou, là où le linge dévoilait la jambe. Puis elle fit une rotation. Avec une grande douceur, ses doigts séparèrent ses cuisses et elle en frémit jusqu’aux cheveux. Elle osa ouvrir les yeux. Il avait le visage fatigué, une barbe qui noircissait dans les rides autour de la bouche, les yeux marqués d’un long effort contre la nuit.
    — Je vous aime, dit-il.
    — Alors restez ! répondit-elle d’une toute petite voix. Lorsque Versailles aura besoin de vous, il saura bien où vous trouver !
    — Vous savez bien que ce n’est pas comme cela que ça se passe. Il faut intriguer,

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