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Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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Jaspars, l’écrivain, académicien, vous ne le connaissez pas, Allen ? Un pacifiste, bougon, sympathique, blessé à Verdun. Les premiers livres que j’ai lus en arrivant à Paris étaient les siens, j’ai un peu compris ce pays grâce à eux.
    — Elle… demandait Allen.
    Sarah souriait, détournée enfin de son passé, de Staline qu’on voyait épanoui à la première page des journaux aux côtés de Ribbentrop, le ministre de Hitler.
    — Je vous présente Allen ?
    Déjeuner avec Catherine, le lendemain. Dîner quelques jours plus tard, un nouveau rendez-vous pris début septembre malgré la déclaration de guerre. Rendez-vous manqué. Allen partait pour la Pologne envahie. Il voulait voir. De New York, Schuller, l’agent littéraire d’Allen, avait téléphoné : « Tu peux faire le meilleur reportage de ta vie, Allen. » Comme si Allen se rendait à Varsovie pour cela. Mais pouvait-il leur dire, à Schuller, à Malcolm, son éditeur, à Mervin, du Herald, qu’il avait simplement envie d’être ailleurs, arraché à lui-même par le spectacle de la guerre, peut-être oublierait-il cette petite douleur qui le prenait quand il pensait à Tina, à cette nuit à Barcelone, en mai 1937, quand elle avait dit : « Je suis venue, je veux un enfant de vous, Allen. Je l’appellerai Jorge. » Il avait feint de croire que Tina plaisantait. La nuit était passée et il avait laissé partir Tina. Puis elle s’était mariée à Bowler, elle faisait un livre avec lui, sur la Chine – pourquoi pas ? – et elle avait envoyé il y a un an, cette lettre, parvenue au Mas Cordelier, une enveloppe, les vœux pour l’année 1940 et une photo d’amateur, bien nette, ce gosse entre Bowler et Tina, Jorge. Qu’avait-elle avoué à Bowler ?
    Mais à quoi bon savoir ?
    Allen avait vu Varsovie en flammes, il s’était enfui avec la cavalerie polonaise décimée, labourée par les panzers. Il avait télégraphié ses articles de Bucarest, d’Istanbul, puis il était rentré à Paris, avait trouvé le télégramme de Malcolm glissé sous la porte de l’atelier qu’il louait boulevard Raspail : Bravo, Allen. Tu es le plus grand : talent et émotion. Grosse impression ici. Te passe commande d’un livre. Schuller a préparé le contrat. Ton cher éditeur. Malcolm.
    Il écrivait le livre. Il faut bien. Peu à peu pourtant il s’était laissé dévorer par les mots. À chaque fois Malcolm gagnait. Allen croyait terminer en quelques semaines un livre bâclé, mais la page était là devant lui, ouverte, et le plaisir venait, sans même qu’Allen s’en rendît compte. Par Serge Cordelier il avait obtenu quelques renseignements biographiques sur les nouveaux officiers allemands. Il essayait de les comprendre, ce Karl Menninger par exemple, fils d’un ingénieur, volontaire en 1917, né comme Allen le 1 er  janvier 1900.
    Allen alors s’arrêtait d’écrire. Son bureau était installé face à la haute verrière qui donnait sur le boulevard Raspail. Il découvrait que le ciel de Paris est atlantique, lui revenaient les longues rêveries, ses dérives quand il faisait la ligne Hambourg-Southampton-New York comme marin à bord du paquebot Providence ; ces longues traînées diaprées de nuages bleutés, voilà qu’il les retrouvait à Paris, et le souvenir des coïncidences qui tant de fois étaient apparues dans sa vie, repères qu’il effaçait parce qu’il craignait d’y reconnaître les affleurements, visibles à peine un instant, d’un continent profond qui liait entre eux les hommes et les événements.
    Pour échapper à ces pensées, il sortait, flânait dans le jardin du Luxembourg, observait le travail des jardiniers, les palmiers qu’on rentrait dans les serres, les amoncellements de feuilles mortes, volumes brunâtres emprisonnés dans des treillages rouillés ; une nuée d’oiseaux de passage, la pluie sur le grand bassin.
    Un jour, novembre 1939, peut-être le 27 du mois, pour échapper à l’averse, il était entré dans un café de la rue Médicis et là, au comptoir, une jeune femme au profil régulier, comme une image tremblée, il s’approchait, elle avait les cheveux courts ébouriffés par la pluie, il posait sa main sur la sienne, près de la tasse, cette façon de sourire, ce regard désinvolte, à la fois candide et insolent, il la reconnaissait.
    — Catherine Jaspars, disait-il, vous me devez un dîner, n’est-ce pas ?
    Déjà, la phrase à peine prononcée, l’envie

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