Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II
n’étaient pas que d’espace – qui séparaient Shanghai de la République rouge du Yunnan où Bertolini espérait que Lee Lou Ching avait trouvé refuge. Le livre le rassurait. Richard Bowler présentait Lee Lou Ching comme l’un des dirigeants communistes.
Cet homme modeste, écrivait-il, est à sa manière un mystique. L’éducation jésuite qu’il a reçue – sans doute à la Mission catholique de Shanghai – a-t-elle imprégné son communisme de religiosité ? À écouter Lee Lou Ching parler de la Chine future, on imagine que certains prédicateur du Moyen Âge devaient décrire ainsi la société parfaite. D’ailleurs, le mode de vie de Lee Lou Ching – et semble-t-il des autres dirigeants – est bien proche de l’ascétisme. Sobriété des repas, austérité des demeures, rigueur des mœurs. J’ai interrogé Lee Lou Ching sur sa vie familiale. Il a souri : « La guerre, m’a-t-il répondu, la lutte, ne m’ont pas permis de fonder un foyer. » D’une voix mesurée, il a ajouté ces propos extrêmes : « Le peuple chinois est ma famille. »
Giulio Bertolini reconnaissait sous la poussière des mots le langage de la foi et en Lee Lou Ching un serviteur de Dieu, car le Seigneur emprunte toutes les routes pour atteindre le cœur des hommes. Il ouvrait le livre de Bowler. Les soldats le lui avaient apporté comme une menace alors qu’il était la preuve que chaque événement d’une vie obéit à l’ordre divin du monde et vient à son heure.
Un jour, à Barcelone, écrivait Bowler dans sa préface, je me trouvais avec mon ami, l’écrivain Allen Roy Gallway. L’aviation italienne au service du général Franco bombardait la ville. Nous nous étions réfugiés dans une cave. Elle était éclairée de bougies et les locataires de l’immeuble, des femmes pour la plupart, qui y étaient descendus priaient, agenouillés. Nous découvrîmes, enfoncés dans les parois, des crânes et des ossements. La cave avait sans doute servi, des siècles auparavant, de lieu de culte et de cimetière. Allen me raconta alors comment il avait rencontré dans une galerie de fouilles archéologiques de la province de Shanghai, un chef de partisans communistes, Lee Lou Ching, dont la personnalité l’avait frappé. Je me souvenais parfaitement du reportage d’Allen Roy Gallway. À son retour de Chine, il m’avait d’ailleurs fait part des coïncidences qui avaient entouré son rendez-vous avec Lee. Allen Roy Gallway prétendait avoir enfant, déjà croisé dans des circonstances tragiques, le père jésuite qui le conduisait vers Lee Lou Ching. À l’époque j’avais cru que le récit de Gallway n’était que le produit de son imagination de romancier. Mais la manière dont il m’en parlait à nouveau à Barcelone, cette nouvelle coïncidence puisque les lieux évoquaient la galerie de fouilles – « les morts se ressemblent », disait Gallway – me troublèrent. Rentré à New York, quand mon journal me proposa un reportage – que l’on disait difficile et dangereux à cause de la guerre sino-japonaise – dans les provinces tenues par les communistes, j’acceptai immédiatement. Je voyais là, moi aussi, un clin d’œil ironique de ce que faute de mieux j’appellerai le destin. Je relus les articles que Gallway avait écrits et je ressentis une émotion que n’expliquait pas seulement le talent de l’écrivain. La figure de Lee Lou Ching me devenait proche, fraternelle.
Les articles de Gallway, par leur sincérité et leur probité, me servirent d’introduction auprès des communistes du Yunnan et d’abord de Lee Lou Ching qui se souvenait parfaitement d’Allen Roy Gallway.
Je dédie donc ce livre à mon vieil ami Allen Roy Gallway, qu’autrefois, au temps de notre jeunesse partagée, j’appelais Dosto.
Giulio relisait cette préface, refermait le livre, priait. Il se souvenait de l’enfant de cinq ans qu’il avait pris par la main sur les quais d’Extrême-Orient, à San Francisco et reconduit jusqu’à sa mère un jour noir. L’enfant devenu homme avait été guidé – par qui sinon par Dieu ? – jusqu’à cette Mission catholique de Shanghai où Giulio Bertolini avait longtemps vécu en compagnie de Lee Lou Ching. Ils s’étaient l’un et l’autre reconnus.
L’échange, par-delà le temps, malgré les océans et les continents, avait eu lieu. Le livre de Richard Bowler en apportait la nouvelle. Giulio, le plaçant devant lui, en ce mois de
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