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Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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plusieurs temples, et des rues pavées de dalles grises paraissaient s’enfoncer sous la végétation jusqu’à d’autres constructions que les arbres dissimulaient encore.
    — Incroyable, disait le père Kruger, sous la forêt, une capitale.
    Soulevant sa soutane, il sautait d’un bloc à l’autre, enthousiaste, cependant que les Indiens paraissaient ne pas le voir, assis, leur machette à plat sur leurs genoux.
    — Ce sont leurs ancêtres qui ont construit cela et cette indifférence aujourd’hui, continuait Kruger.
    Giulio Bertolini écartait une branche, découvrait un bloc, passait sa paume sur la pierre grenue. Ce renflement peut-être les lèvres d’un visage taillé dans la roche.
    — Un jour, dit Bertolini – il laissait retomber la branche, masquait la bouche – au cours de ce siècle, qui sait ? Ils se mettront à parler ?
    — Je le souhaite, dit Kruger rapidement, qu’ils redeviennent un grand peuple.
    — Et s’ils nous faisaient taire ?
    Kruger se mit à rire.
    — Nous serons morts, dit-il, à nos successeurs de faire face. L’époque des fils et des petits-fils de Dolorès.
    De retour à La Paz, Giulio ne put revoir Dolorès. La sœur gardienne du couvent n’ouvrait pas la grille qui donnait accès au cloître.
    — Elle n’est plus ici, disait-elle.
    À quelques pas le jardin, le jet d’eau, les colombes dont les pattes crissaient sur le toit de tuiles. À toutes les questions de Giulio la sœur répondait par la même phrase : « Plus ici mon père. » Il reconnaissait l’obstination aveugle que rien ne peut faire céder. Il demanda à être reçu par le Supérieur de l’Ordre, fit longtemps antichambre. Le bureau du père Cartillo donnait sur la grande place de la Cathédrale. Des Indiens assis sur le bord des trottoirs semblaient attendre le passage d’un cortège. Être l’un d’eux, devenir ce poids de vie, lourd et originel.
    Quand on l’introduisit, Giulio Bertolini savait qu’il ne reverrait pas Dolorès. Le père Cartillo, les cheveux grisonnants taillés en brosse, se tenait debout, les mains derrière le dos. Ils restèrent longtemps silencieux.
    — Ce pays, père Bertolini, commença Cartillo, n’est-ce pas que vous ne l’aimez plus ? Que le temps est venu pour vous de le quitter ?
    Cartillo s’assit, il fit un geste invitant Bertolini à prendre place en face de lui. Mais Giulio refusa.
    — J’avais… commença-t-il.
    Cartillo leva la main gauche :
    — Allons, allons, Bertolini, croyez-vous qu’aimer un peuple, le guider, ce soit choisir une âme et s’attacher à elle ?
    — Je n’ai pas choisi, dit Bertolini, j’ai été conduit vers elle.
    Cartillo sourit :
    — Quel orgueil, père, vous rendez-vous compte ?
    — Où est-elle ?
    Bertolini avait fait un pas vers le bureau. Il serra ses mains sur le tissu de sa soutane noire, le tira comme s’il voulait le déchirer, comme s’il collait à sa peau, insupportable.
    — Où est-elle ? dit-il d’une voix plus forte, je suis prêt à…
    — À quoi êtes-vous prêt ?
    Cartillo avait bondi, prenant Bertolini aux épaules, le secouant, hurlant près de lui :
    — Vous êtes prêt à obéir parce que telle est la loi que vous avez choisie, que telle est notre vie. Vous partez ce soir.
    — J’aimais cette enfant, dit Bertolini.
    Il avait laissé retomber sa tête, ses mains.
    — Je sais, dit Cartillo, je sais. Et justement pour cela…
    — Je veux lui léguer, dit Bertolini, si…
    — Vous le pouvez.
    Cartillo retourna à son bureau, prit une feuille de papier, poussa vers Bertolini l’encrier.
    — À sa majorité, dit-il. Elle portera votre nom.
    Bertolini, rapidement, rédigea une longue phrase d’une écriture aux jambages hauts. «  À Dolorès, née le 1 er   janvier 1900, moi, Giulio Bertolini, par l’intermédiaire de mon ordre, ce jour, je lègue mes biens présents et à venir, ceux qui me seront acquis du fait de mes héritages et successions. Je veux que Dolorès soit en tout considérée comme ma fille adoptive. »
    Il semblait à Giulio Bertolini qu’il lisait, au fur et à mesure qu’il écrivait, son acte de décès et il en était heureux. Il data et signa, tendit la feuille au père Cartillo qui la plaça sous enveloppe, puis hésita.
    — Père, dit enfin Cartillo, déposez cela vous-même chez Maître Trevijano.
    — Je pars donc ce soir ? interrogea Bertolini en prenant l’enveloppe.
    — Ce pays n’est plus pour vous.

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