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Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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d’absence pour que la place fût prise par une de ces Italiennes aux vêtements noirs et aux cheveux tirés en arrière. Silencieuses et têtues, elles avaient toujours pour les remplacer une sœur ou une cousine si bien que, quand elles avaient pris pied dans un emploi, il n’était plus possible de l’arracher à leur famille. Seuls Jim et Allen Roy accompagnaient leur père. Jim essayait de soulever le sac de marin.
    — Trop lourd pour toi, fils, disait John en l’arrachant d’un seul coup au sol pour le placer sur son épaule.
    Ils marchaient tous trois de front dans la rue, insultés parfois par un cocher qui faisait en vain teinter sa cloche pour qu’ils laissent le passage, mais John sans se retourner criait : « Écrase-nous, bouseux, t’as le feu dans le cul ? » Jim riait, Allen courant pour rester à la hauteur de son frère et de son père. Mais déjà, les docks, la poupe des navires, les pavillons que le vent commençait à déployer, ces couleurs vives, rouge, vert, bleu, qui se répondaient d’un navire à l’autre ; les passerelles grinçantes, un commandement qu’un porte-voix amplifiait ; les marins accoudés avec l’indifférence méprisante de ceux pour qui le départ est une habitude et le voyage un métier. L’un d’eux criait : « Hé John, t’as fait un autre enfant ? » John Gallway, qui laissait tomber son sac à terre, prenait Jim et Allen par la nuque, les poussait en avant. « Tu les as vus, ces deux-là ? Ce sont les miens. »
    — Qu’est-ce que t’en sais, eh John, un marin il peut jamais jurer de rien.
    Une injure, un poing dressé dans un rire et John Gallway se penchait vers ses fils.
    — Soyez de bons gars. À mon retour…
    Il les embrassait, levait la main quand il arrivait au haut de la passerelle.
    Jim et Allen restaient sur le quai jusqu’à ce que, au milieu des appels brefs de sirènes, des coups de sifflets des timoniers, le Gulf Stream I s’écarte du quai, laissant un remous huileux et un espace béant qui ouvrait sur l’horizon.
    — Bouge-toi, disait Jim en bousculant Allen.
    Celui-ci se mettait à pleurer tenant son épaule, répétant « tu m’as fait mal ». Il fallait que Jim lui secoue le bras, lui parle à voix basse : « C’est rien, tiens je te donne le droit, rends-le moi. » Il présentait son épaule à Allen : « Frappe, plus fort, ferme bien tes doigts, frappe. » Allen tapait des deux poings sur l’épaule de son frère, il riait quand Jim criait. « Salaud, arrête. » Il tapait encore et Jim se mettait à courir, obligeant Allen à courir aussi.
    Ces jours de départ, ils rentraient plus tôt attendant leur mère, assis sur le trottoir devant la blanchisserie Petersen. Les voitures de livraison s’arrêtaient au milieu des jurons des charretiers, les chevaux redressaient leurs têtes sous la douleur du mors, frappant du sabot. Les hommes, le plus souvent des Noirs ou des Chinois, déchargeaient les paniers remplis des draps sales des hôtels, du linge des cabines des paquebots de luxe. Tard, le rouge des crépuscules de l’extrême ouest déjà effacé depuis longtemps, Magrit Gallway sortait, et ses fils l’entouraient. Jim, après quelques mètres, laissant sa mère et son frère marcher à pas lents, courait devant, revenait vers eux.
    — On a vu le bateau jusqu’au bout, disait-il.
    Il s’éloignait à nouveau pour ne pas découvrir le visage de sa mère.
    Après le départ du Gulf Stream I, ils retournaient au quai d’Extrême-Orient, sachant pourtant qu’avant trois mois le navire ne reviendrait pas. Un autre était à quai, le George Washington, ou le Lincoln, deux paquebots aux superstructures blanches qui faisaient les lignes du Japon et de la Chine. Allen s’asseyait sur les cordages, Jim s’approchait des passerelles, rêvant à devenir l’un de ces passagers clandestins dont parlait à chaque retour son père, Chinois qui se glissait sous la bâche des baleinières, dans les logements des chaînes d’ancre et l’un d’eux avait failli se faire déchiqueter quand, au large de Shanghai à la suite d’une avarie, le commandant avait décidé de mouiller. Souvent les dockers bousculaient Jim et Allen, les grutiers hurlaient quand les deux frères se trouvaient sous les charges qui oscillaient au bout des chaînes. Mais Jim et Allen après s’être écartés revenaient, Jim attiré par cette odeur grasse de la mer, ces brusques bouffées aigrelettes de la fumée, quand un

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