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Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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Jim ses yeux. « Qu’est-ce que tu veux, emmerdeur ? » disait Jim. « Tu es un rat mort, je te traîne. » Il fouillait dans sa chemise, en sortait une pomme, la lançait à Allen : « Bouffe, bouffe. » Jim s’appuyait aux sacs, regardait son frère manger et il en éprouvait un plaisir plus grand que s’il avait lui-même mordu dans le fruit. Mais les autres gosses, la bande de Lewis, celle de Jackie Scraw avaient refusé d’admettre Allen Roy, et les frères Gallway restaient donc à l’écart, Allen Roy toujours à quelques pas derrière Jim ou bien traîné par celui-ci.
    Le soir, quand ils rentraient, les voisines, Tina ou Elisabeth, commençaient à les sermonner, « Ta mère, Jim…» Elles parlaient entre elles de la « pauvre Magrit », « je l’ai toujours dit, quand on épouse un marin, ce sont pas des maris ».
    Magrit Gallway était assise dans la cuisine, lasse des heures passées devant les cuves de la blanchisserie dans la moiteur nauséabonde des linges qui bouillaient. Elle somnolait, les cheveux gras tombant de part et d’autre du visage. Allen avait un mouvement pour s’élancer vers sa mère mais Jim le retenait, lui posant la main sur la bouche, le menaçant d’un coup de poing, exigeant le silence. Il plaçait sur la table ce qu’ils avaient « raflé » aux docks. Du pied il repoussait Allen Roy, lui donnant un morceau de pain. Allen pleurait parce qu’il voulait que sa mère le voie. Elle se réveillait, les regardait l’un après l’autre, souriait. « Il y a du lait », disait-elle. Elle se levait d’un mouvement qu’elle voulait rapide, joyeux, mais Allen se pendait à son tablier. Il cachait son visage dans le tissu, il murmurait « maman, maman » et elle commençait à lui caresser les cheveux. « Tu es gentil, disait-elle, tu es le plus gentil, Allen. » Elle se tournait vers Jim qui faisait semblant de ne pas voir, de ne pas entendre, elle disait : « Toi tu es un homme déjà, Jim, déjà, lui, tu comprends…» Elle prenait dans une boîte métallique placée dans l’un des tiroirs du buffet quelques pièces, elle les donnait à Jim : « Tu vas chez l’Italien, disait-elle, achète ce que tu veux, ce qui te fait envie, tu nous en rapportes un peu. » Elle embrassait Jim sans que Allen se soit décroché d’elle. « Il vient avec moi », disait Jim, il tirait Allen par l’épaule mais Allen résistait, pleurait. « Laisse-le, va », disait Magrit et Jim dévalait seul les escaliers, appuyait violemment sur le levier de la pompe pour que l’eau jaillisse comme la colère et il s’élançait jusqu’à l’épicerie.
    Un soir en rentrant il avait trouvé dans la cuisine son père, son sac de jute grise posé sur la table. John Gallway tenait Allen dans ses bras mais quand il avait vu Jim il avait abandonné Allen à sa mère, s’avançant vers son fils aîné, le prenant par les poignets, tâtant ses biceps, faisant mine de lui envoyer un coup de poing à l’estomac. « Attention, Jim. » Jim esquivait, puis sautait au cou de son père.
    — Quand est-ce que tu embarques avec moi ? demandait John.
    Et Magrit aussitôt :
    — Plus de marin, disait-elle, je ne veux pas d’un autre marin ici.
    John riait, tentait de soulever Jim :
    — Il est lourd celui-là, il ferait un mousse. Tu sais – Il clignait de l’œil à Jim, il donnait une claque sur les fesses de Magrit. – les passagères, quand on en embarque, les mousses, elles les invitent dans leur cabine.
    Magrit bousculait John.
    — Si tu reviens pour ça.
    Elle s’éloignait afin qu’il ne la saisisse pas par la taille.
    — Oui, je reviens pour ça, je suis pas mousse moi, personne m’invite, je suis noir de graisse.
    Il montrait ses paumes ; les lignes de la main étaient des nervures noires où le cambouis s’était incrusté à jamais.
    — Et toi ?
    John forçait Allen à s’asseoir sur ses genoux :
    — Toi, le petit, tu seras marin aussi ?
    Mais Allen pleurait, tendait les bras vers sa mère.
    — Il ne te connaît pas, disait Magrit en le prenant contre elle. Il n’a pas le temps de te connaître. Tu arrives et tu pars.
    John, de sa vareuse bleue, sortait une liasse de billets, il la jetait sur la table, sérieux tout à coup.
    — Je laisse ça, disait-il. Un souvenir non ?
    Quelques jours plus tard, il quittait à nouveau San Francisco. Magrit ne pouvait, même pour quelques heures, laisser la blanchisserie. Il suffisait d’une matinée

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