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Les hommes perdus

Les hommes perdus

Titel: Les hommes perdus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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supplique, dont tu trouveras le double à Paris. Tu auras de la besogne pour les remercier tous, les signataires sont en nombre. »
    Mais cela dut attendre, car Claude et Lise ne s’arrêtèrent guère à Paris. Ils reprirent bientôt la route avec Thérèse, suivis par le jeune ménage Caillot, pour aller en Limousin assister au mariage d’Antoine, fixé au 10 juin. La clémence royale avait joué juste à temps. Claude trouva les siens peu changés. Bon-papa Dupré était toujours vert malgré ses douleurs, – il devait au reste durer encore quatorze ans, pour finir paisiblement dans sa quatre-vingt-dix-septième année.
    Au retour, rue des Victoires, la vie reprit tranquille et active. Les relations, entretenues par Thérèse, ne s’étaient pas interrompues. Les soirs où elle et Lise tenaient leur cercle, le salon se peuplait de familiers. Dupin rendit à son confrère ses archives en lui disant qu’il les avait toujours considérées comme un dépôt ; il lui remit également les dossiers des affaires non terminées. La clientèle se reconstitua rapidement. Tout ce qui manquait à Claude, en Belgique, il le possédait de nouveau, et il en sentait mieux le prix.
    En novembre, Sa Majesté gracia vingt-deux autres exilés, dont Gay-Vernon. Il regagna Paris au début de 1819 mais n’y demeura point. On ne le revit plus, car l’ancien curé de Compreignac, ancien évêque constitutionnel de la Haute-Vienne, finit là ses jours en 1822, à Vernon, près de Saint-Léonard. Fouché était mort à Trieste, et Cambon à Bruxelles, en 1820 ; Napoléon à Sainte-Hélène, en 1821. En 1823, Carnot mourut à Magdebourg ; en 1824, Cambacérès dans son hôtel rue de l’Université, et Louis XVIII aux Tuileries.
    Le roi avait gouverné avec sagesse, libéré en trois ans le territoire, amélioré la monarchie constitutionnelle, rendu à la France une armée, une marine, des finances prospères, une place honorable dans le concert des nations. Claude le regretta. « Sa disparition, dit Bernard, est un grand malheur pour le pays. Louis XVIII a, dans la mesure du possible, contenu les extrêmes. Ils vont à présent se déchaîner. »
    Avec le temps, le comte d’Artois s’était calmé. Couronné sous le nom de Charles X, il ne songeait plus à rétablir l’Ancien Régime ; mais il avait été trop longtemps le champion de l’absolutisme et des privilèges pour qu’il fût en mesure de refréner ses vieux partisans. Les émigrés comptaient obtenir enfin la restitution des biens nationaux. Très vite, les ultras et le « parti prêtre » rendirent odieux son gouvernement. Libéraux et royalistes se livraient, au palais Bourbon, des assauts furieux. Le milliard d’indemnité aux émigrés en fut une occasion, entre autres. La Chambre des pairs, libérale dans sa majorité, refusa la « loi du droit d’aînesse » et la loi dite « de justice et d’amour » qui, en réalité, eût supprimé la liberté de la presse. Paris illumina. Le ministère Villèle puis le ministère Martignac se voyaient débordés par la droite et la gauche tout ensemble. « Nous allons, une fois de plus, à un accès de révolution », annonçait Claude dès les premiers mois de 183o. Elle éclata le 28 juillet. Il séjournait depuis deux semaines en Limousin avec Lise et Thérèse. Ils apprirent là l’abdication de Charles X, la nomination de Louis-Philippe d’Orléans comme lieutenant général du royaume. Quand ils revinrent à Paris, le drapeau tricolore flottait sur les Tuileries, sur les tours de Notre-Dame, et Louis-Philippe I er était roi des Français.
    « Ainsi, constata Claude, voilà réalisé après quarante ans le vœu de Danton et de presque tous les hommes de 90. Les choses en iront-elles mieux ? »
    Les derniers proscrits rentrèrent, rappelés par une loi que le marquis de Dreux-Brézé combattit passionnément au Luxembourg, et que le duc de Broglie, le maréchal Delmay, l’amiral Dubon – replacé parmi les pairs en 1827, après la bataille de Navarin où il commandait contre les Turcs l’escadre française alliée aux Anglais et aux Russes – firent triompher. Sieyès, Merlin de Douai, Barère, Choudieu, Thibaudeau arrivèrent successivement. Il restait bien peu de survivants. David était mort en 1825, Vadier en 1828, l’excellent Ramel en 1829. Barère quitta bientôt Paris pour se retirer dans son Bigorre natal, avec sa Marguerite. Merlin rapportait un monumental Répertoire de

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