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Les hommes perdus

Les hommes perdus

Titel: Les hommes perdus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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à la fermeté de Louis XVIII, à la modération de Wellington, à l’amitié du tsar pour le duc de Richelieu, premier ministre, ce traité se révélait un peu moins féroce qu’on ne le craignait. Il ne démembrait pas la France, comme les négociateurs prussiens l’auraient voulu, cependant il la réduisait aux limites de 89, lui enlevait Philippeville, Marienbourg, une partie de la Lorraine. Elle devait payer une indemnité de sept cent millions et subir, à ses frais, pendant cinq ans l’occupation de cent cinquante mille soldats étrangers. C’était désastreux.
    « Voilà, dit Claude avec accablement, ce que nous coûte l’imbécillité des émigrés et des prêtres soutenus par l’imbécillité du comte d’Artois, de la duchesse d’Angoulême, de son mari. Sans leurs sottises, Napoléon ne serait jamais revenu. Peu importe l’argent ! Les indemnités, on les paiera. Mais ces territoires, ces cinq cent mille âmes de plus arrachées à la France !…»
    On s’apprêtait à lui en ôter quelques autres. Le 12 janvier 1816, une loi bannissait du royaume un peu plus de soixante ex-révolutionnaires, dont Claude lui-même. Violant l’ordonnance du 24 juillet précédent, cette loi, dite d’amnistie, créait une nouvelle catégorie de « coupables » : les régicides qui avaient accepté l’Acte additionnel aux constitutions de l’Empire. Elle les exilait à perpétuité ; non point, certes, en raison des institutions établies par cet acte, mais à cause de l’article 67 dirigé contre les Bourbons.
    Depuis le renvoi de Fouché et les premières séances de la Chambre, si frénétiquement royaliste que le roi la déclarait « introuvable », Claude s’attendait à quelque chose de ce genre. On entrait dans la réaction à outrance ; elle n’épargnerait aucun adversaire, ou ci-devant adversaire, de la royauté. Étant allé, avec Lise et Thérèse, passer le mois d’août en Limousin, il avait avisé ses parents d’une mesure éventuelle contre les hommes de sa sorte, ajoutant qu’il ne faudrait pas la prendre au tragique ; elle ne serait certainement pas durable, l’état d’esprit actuel ne pouvant se maintenir. Il n’en avait pas moins quitté son père, sa mère et ses beaux-parents – surtout M. Dupré, entré dans sa quatre-vingt-deuxième année – avec le déchirement secret de les embrasser peut-être pour la dernière fois. En revanche, il reverrait sûrement son fils. Antoine, revenu de l’armée des Pyrénées après avoir donné sa démission, car la carrière militaire ne lui offrait plus aucun avenir, s’initiait à diriger la Manufacture pour y succéder, un jour, à son grand-père ; et il courtisait la charmante Juliette Dumas, mais sa mère n’entendait pas la marier avant deux ans. Eux, du moins, comme Claire et son mari, pourraient aller visiter à l’étranger des proscrits. Prudemment, Claude s’était mis à vendre par petits paquets ses rentes. De toute façon, il n’y perdait rien, le cinq pour cent ayant beaucoup monté depuis le retour du roi. Si rien ne se produisait, il réemploierait l’argent ainsi obtenu ; dans le cas contraire, il le transformerait en lettres de change aisément transportables et négociables n’importe où.
    L’événement le trouva donc préparé. Avec lui, Gay-Vernon, Sieyès, Cambacérès, Roger Ducos, Tallien, Cambon, David, Merlin de Douai, et la plupart des anciens conventionnels encore vivants tombaient sous le coup de « l’anti-loi » comme disait tout bas Lanjuinais qui n’avait pas osé voter contre elle à la Chambre des pairs. Lui, si imperturbable les 31Mai-2Juin, si peu sensible aux menaces de Legendre, il tremblait à présent devant les ultras.
    Sieyès envisageait de faire tête, de dénoncer un ostracisme inique et de s’offrir en holocauste. « À quoi bon ? lui répondit Claude. Si nous pouvions ébranler l’opinion, émouvoir le peuple, inquiéter la cour, oui ; mais nous ne sommes plus aux temps héroïques, notre résistance nous vaudrait uniquement des brocards et le ridicule d’être conduits à la frontière par les gendarmes. »
    Bernard, qui avait vigoureusement protesté, au Luxembourg, contre cette manière d’aggraver les sanctions prises par le roi, voulu plaider auprès de Sa Majesté la cause de Claude. Aux premiers mots, le monarque l’arrêta. « Mon cher comte, il s’agit d’une loi, et une loi ne souffre pas d’exception. »
    Claude n’eût, au

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