Les huguenots - Cent ans de persécutions 1685-1789
partir seul pour la Hollande, laissant en France sa femme et
ses enfants. Mais partout on appliqua strictement la loi, on ne
permit pas au ministre Guitou, fort âgé, d’emmener avec lui une
vieille servante
pour le gouverner et subvenir à ses
besoins
, et Sacqueville au risque de le faire périr, dut
emmener son enfant, sans la nourrice qui l’allaitait,
celle-ci
n’étant pas mentionnée dans le brevet
.
Des vieillards chargés d’infirmités, moururent
en route sur ce vaisseau qui les emportait, par exemple :
Faget de Sauveterre, Taunai, Isaïe d’Aubus ; d’autres, comme
Lucas Jausse, Abraham Gilbert, succombèrent aux fatigues du voyage
et moururent en arrivant à l’étranger.
Dans quelque état de santé que l’on fût, ne
fallait-il point partir pour la terre d’exil dans les quinze jours,
aucune excuse n’étant admise pour celui qui avait dépassé le délai
fatal. Quelques ministres du Poitou, de la Guyenne et du Languedoc,
que les dragonnades avaient contraints de se réfugier à Paris,
reçoivent des passeports de la Reynie, sauf trois pasteurs du haut
Languedoc que l’on renvoie dans leur province pour y prendre leurs
passeports, après les avoir amusés quelques jours. Ils n’arrivent à
Montpellier qu’après l’expiration des quinze jours fixés par l’édit
de révocation. Bâville les emprisonne et menace de les envoyer aux
galères, mais, après quelques jours, ils sont conduits à la
frontière. Latané fut moins heureux, il avait fourni le certificat
exigé des ministres, constatant qu’ils n’emportaient rien de ce qui
appartenait aux consistoires, mais ce certificat fut refusé comme
irrégulier parce que les signataires avaient pris le titre
d’anciens membres du consistoire. Quand Latané eut fourni
tardivement un autre certificat, on le retint en prison au château
Trompette où on le laissait souffrir du froid en le privant de feu.
En vain, réclama-t-il ; le marquis de Boufflers, intendant de
la province, consulté, répondit : « Il serait plus du
bien du service de le laisser en prison, que de le faire passer en
pays étranger, vu qu’il est fort considéré
et qu’il a beaucoup
d’esprit.
»
En regard de cette singulière raison de garder
un ministre en prison, en violation de la loi,
parce qu’il a
beaucoup d’esprit
, il est curieux de mettre la réponse faite
par Louvois, à la demande de ne pas user de la permission de sortir
faite pour deux vieux ministres, presque tombés en enfance.
« Si les deux anciens ministres de Metz sont imbéciles et hors
d’état de pouvoir parler de religion, le roi pourrait peut-être
permettre qu’on les laissât mourir dans la ville de Metz, mais,
pour peu qu’ils aient l’usage de la raison
, Sa Majesté
désire
qu’on les oblige de sortir.
»
Les ministres qui, au moment de la publication
de l’édit de révocation, se trouvaient emprisonnés pour quelque
contravention aux édits, devaient être mis en liberté comme le
furent Antoine Basnage et beaucoup de ses collègues, afin de
pouvoir sortir du royaume dans le délai fixé. Cependant les
ministres Quinquiry et Lonsquier ne furent relâchés qu’en janvier
1686, et trois pasteurs d’Orange enfermés à Pierre Encise, n’en
sortirent qu’en 1697.
Quelques ministres ne peuvent se résigner à
quitter la France et tentent de continuer l’exercice de leur
ministère, entre autres Jean Lefèvre, David Martin, Givey et
Bélicourt, mais la terreur générale était telle à ce moment qu’on
refusait de les écouter et de leur donner asile, en sorte que,
traqués de tous côtés, ils durent se résigner à passer à
l’étranger.
Bélicourt, pour franchir la frontière, dut se
cacher dans un tonneau ; quant au proposant Fulcran Rey, il
tomba dans les mains de Bâville qui l’envoya au supplice.
Quelques années plus tard un certain nombre de
ministres reviennent en France, bravant tous les périls, entre
autres Givry et de Malzac qu’on arrête et qu’on enterre vivants
dans les sombres cachots de l’île Sainte-Marguerite ; Malzac y
meurt après trente-trois ans de captivité, plusieurs autres
pasteurs y deviennent fous.
Qui ne serait révolté de voir Bossuet, dans
l’oraison funèbre de le Tellier, déclarer mensongèrement que les
huguenots ont vu,
« leurs faux pasteurs les abandonner
sans même en attendre l’ordre
,
trop heureux d’avoir à
alléguer leur bannissement comme excuse
. »
L’édit de révocation, en chassant les
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