Les masques de Saint-Marc
doute Zorzi a-t-il prétendu que j’étais au courant et que nous avions rendez-vous dans la soirée. Dans l’espoir qu’il hésiterait à l’abattre.
— Pourtant, il l’a quand même éliminé et vous a ensuite tendu un piège.
— Ce que Zorzi n’avait pas imaginé.
— Après, il a déposé le collier dans l’appartement près des Gesuati en supposant, à juste titre, que nous fouillerions les lieux et trouverions le bijou.
— En d’autres termes, renchérit le commissaire, la preuve que Zorzi était l’assassin de Ziani.
— Sauf qu’il a joué de malchance ! Vous en êtes sorti sain et sauf. Et le corps de Zorzi n’a pas disparu dans les flammes, mais a été projeté dans la lagune et a refait surface.
Bossi tourna les yeux vers son supérieur.
— Qu’est-ce qu’il cherche, commissaire ?
— Sommes-nous d’accord sur le fait qu’il n’est pas venu à Venise pour déjouer un attentat contre la personne de l’empereur, mais au contraire pour en commettre un ?
— On dirait bien.
— Ensuite, ce n’étaient pas les services piémontais qui ont infiltré le groupe, mais les renseignements autrichiens. Du moins une partie de l’armée.
— Donc, les allégations du colonel Holenia seraient correctes. Les seuls pour qui un attentat présenterait un véritable intérêt sont des militaires.
Le commissaire hocha la tête.
— En effet. L’homme qu’ils ont envoyé à Venise avait une double mission : empêcher l’attentat des Vénitiens et rassurer tout le monde afin que le véritable attentat réussisse à coup sûr.
— Que faire ?
— Nous allons d’abord sécher ce mystérieux bout de papier et voir si nous parvenons à le décrypter.
L’appareillage que l’inspecteur conçut pour faire sécher le billet sans l’abîmer était d’une simplicité enfantine. Il se composait d’une lampe à pétrole, d’un gant et d’une assiette en porcelaine. Bossi se servait du gant pour tenir l’assiette sur laquelle il avait posé le papier qui se gondolait et s’éclaircissait peu à peu au-dessus de la cheminée en verre. Au bout de quelques minutes, le billet fut assez sec pour que le commissaire pût le déplier.
Cela étant, ils ne furent pas beaucoup plus avancés une fois qu’il l’eut étalé sur son bureau. Le texte se composait de quatorze lignes de deux rangées chacune, constituant à première vue une succession de lettres dénuée de sens. Après avoir fixé le morceau de papier pendant un moment, l’inspecteur se racla la gorge.
— On dirait un message codé, remarqua-t-il.
— Je vous remercie de l’information, lâcha le commissaire avec un sourire ironique. En tout cas, ce n’est pas un message personnel. Sinon, on ne l’aurait pas imprimé.
— Il n’a pas plus de sens quand on le lit à l’envers, continua Bossi. Ni quand on supprime une lettre sur deux. Ou une sur trois.
— Vous partez donc du principe qu’il faut une clé pour le décoder ?
Bossi regarda son supérieur d’un air troublé.
— Une clé ? Vous vous y connaissez en matière de déchiffrage, commissaire ?
Tron secoua la tête.
— À vrai dire, non. De temps en temps à l’école, quand j’étais petit…
À l’école ? Mais bien sûr ! Il eut soudain une illumination, comme lorsque quelqu’un entre dans une pièce sombre avec une bougie. C’était bête comme chou.
— Il s’agit d’une palissade, Bossi ! s’exclama-t-il.
— Une palissade ?
Le jeune homme écarquilla les yeux.
— Un vieux truc de potache. Vous n’avez jamais envoyé des messages codés à l’école ?
Bossi secoua la tête.
— Eh bien, nous, au séminaire patriarcal, si ! Même Zorzi en faisait. Vous sautez tout simplement d’une rangée à l’autre.
Le commissaire s’assit et sortit une feuille de papier de son tiroir. Puis il réfléchit un instant et écrivit : N U S M E D M S U S L N U T I
O S O M S E A Q E P A Q E O
— À chaque lettre, vous descendez ou vous montez d’un cran. Tenez, essayez !
L’inspecteur examina les deux lignes avec attention pendant quelques instants. Puis il lut à haute voix sans la moindre hésitation : « Nous sommes démasqués. Planque-toi. » Et, relevant les yeux sur son supérieur, il demanda : — C’est cela ?
— Oui, c’est juste, répondit Tron en souriant. Et maintenant, attention, je vais vous dicter le message.
Il ne leur fallut pas plus de trois minutes. Quand Bossi reposa sa plume, il fixa le commissaire d’un air
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