Les Nus et les Morts
déclenché la campagne ; l’effondrement japonais était dû à ses efforts, et c’eût été à lui Cummings d’avoir le-plaisir de faire détoner la fusée. Ce qui l’irritait le plus c’est qu’il devait congratuler Dalleson, peut-être même lui donner de l’avancement. Lui infliger un affront dans ce moment eût été un aveu trop manifeste.
Mais une autre frustration vint bientôt s’y substituer. Que serait-il arrivé s’il avait été présent, si lui-même avait dirigé l’offensive ? Quelle en eût été la vraie signification ? La résistance japonaise était usée au point où toute action concertée, aussi rudimentaire fût-elle, aurait suffi pour défoncer leurs lignes. Il était impossible d’écarter que n’importe qui aurait gagné cette campagne, laquelle n’avait consisté qu’en un jeu de patience et d’usure.
Pour un moment il admit presque qu’il n’eut que très peu ou peut-être rien à voir avec cette victoire, ou en vérité avec aucune victoire ; – celle d’Anopopéi était due à un vulgaire concours d’heureux hasards entrelardés dan ; un réseau fortuit de facteurs trop vastes, trop vagues, pour qu’il pût en appréhender le mécanisme. Il se permit cette pensée, il la cultiva, la traduisit presque en mots, puis il la refoula. Mais elle lui causa une profonde démoralisation.
Si seulement il avait conçu cette patrouille un peu plus tôt, s’il avait eu le temps d en élaborer le schéma plus en détail. Ce fut un travail mal fait, et Hearn était mort.
Eh bien, ce n’était pas exactement une nouvelle atterrante. Toutefois, ne fût-ce que pour un bref moment, Hearn avait été le seul homme dans la division capable de comprendre le côté profond de ses vues, capable même de le comprendre tout court. Mais Hearn avait manqué d’envergure. Il avait jeté un regard, il avait pris peur, et il s’était retiré à quatre pattes – soulevant de la boue.
Il savait pourquoi il l’avait puni, il savait que ce n’était pas par accident qu’il avait assigné Hearn à Reconnaissance. Et sa fin n’était pas venue en surprise. Cummings y puisa d’abord une trace de plaisir.
Seulement… le temps d’une seconde la nouvelle de la mort d’Hearn lui fit mal. Son cœur se serra cruellement. Il en éprouva presque de l’affliction, mais bientôt quelque chose d’autre, quelque chose de plus complexe l’emporta sur son premier mouvement. Pendant des jours, toutes les fois qu’il lui arriva de penser à Hearn, il ressentait un mélange de peine et de satisfaction.
L’important, en fin de compte, consistait à faire la balance de vos profits et pertes. La campagne avait duré une semaine de plus qu’il ne lui fut accordé, ce qui n’allait pas figurer à son crédit. Mais il y eut un temps – huit ou quinze jours à peine plus tôt – où il envisageait que la conquête de l’île lui prendrait tout un mois encore. De plus, en ce qui regardait le G. Q. G. de l’armée, la campagne avait été gagnée par l’invasion de Botoï Bay. Ceci compterait indéniablement en sa faveur. Somme toute, Anopopéi n’avait ni desservi ni bonifié fondamentalement ses intérêts. Quand l’heure sera venue d’attaquer les Philippines il aura sa division au complet sur la brèche et l’opportunité d’arriver à des résultats plus frappants. Mais avant cela les hommes devront être secoués, tenus vigoureusement en haleine, soumis à une discipline renforcée. La même colère, si souvent ressentie au cours du dernier mois de la campagne, s’emparait de lui. Les hommes lui résistaient, ils résistaient à tout changement avec une enrageante inertie. Quelque dureté que l’on mit à les bousculer, ils ne cédaient jamais que de mauvaise grâce, pour se regrouper aussitôt que la pression se relâchait. On pouvait les travailler, on pouvait les enjôler, mais il y avait des moments où Cummings doutait désormais de pouvoir les changer, les pétrir vraiment. Et la même chose menaçait de se reproduire dans les Philippines. Avec tous ses ennemis au G. Q. G. il n’avait pas beaucoup de chances de décrocher une autre étoile avant les Philippines, auquel cas tout espoir serait perdu d’obtenir le commandement d’une armée avant la fin de la guerre.
Le temps passait, et avec lui les occasions de se signaler. Ce seront les – vieilles haridelles qui occuperont la banquette de l’histoire après la guerre, les mêmes empotés qui, incapables de
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