Les Nus et les Morts
dit-il.
Le Japonais morose parut savoir de quoi il s’agissait, car il s’écarta de la piste et, dos tourné, il attendit. La balle le prit derrière l’oreille.
Un soldat vint se placer derrière le prisonnier aux testicules enflés et l’étala par terre d’une bourrade. Il poussa un seul cri de douleur avant de mourir.
Le troisième était dans un semi-coma et n’avait aucune idée de ce qui se passait.
Deux semaines plus tard le commandant Dalleson, assis dans la cabane nouvellement construite pour abriter ses services, ruminait agréablement sur le passé, le présent, et l’avenir. Avec la fin de la campagne l’état-major de la division déménagea à l’ombre presque fraîche et plaisante d’un bouquet d’arbres, non loin de la mer. La brise nocturne y rendait le sommeil fort agréable.
Les exercices d’entraînement allaient commencer le lendemain, et c’était ce côté de la vie militaire que le commandant trouvait le plus sympathique. Tout était prêt. Les troupes, installées sous des tentes d’escouade, avaient établi leur bivouac permanent, les chemins du camp étaient recouverts de gravier, et chaque homme avait fini de fixer une planchette au-dessus de sa couche pour y recevoir son équipement bien au net. La place d’armes était fin prête, et le commandant en était fier car il avait personnellement surveillé les travaux. Ce fut un exploit de taille que de défricher trois cents mètres de jungle et de niveler le sol en dix jours seulement.
Le premier défilé suivi d’une inspection était prévu pour le lendemain, et le commandant savourait son plaisir à l’avance. Il éprouvait une simple, une enfantine joie à voir des troupes parader dans des uniformes propres, à inspecter un fusil piqué au hasard. Il était déterminé à faire reprendre à la division une allure décente avant la campagne des Philippines.
Ses journées étaient fort chargées. Il y avait toutes sortes de détails à mettre au point, et le programme des exercices présentait nombre de difficultés. Faute de conditions appropriées on allait avoir du mal à organiser tous les cours qu’il faudrait. Il allait y avoir des exercices de tir bien entendu, et l’entretien, la nomenclature des pièces détachées, et le fonctionnement des mitrailleuses, il faudrait une classe destinée aux armes spéciales, une de lecture de cartes et de compas, une autre de discipline militaire. Et, évidemment, il les tiendrait sur les dents avec des défilés et des inspections. Mais il y avait encore bien des choses qu’ils devraient faire. En tout cas il pourrait toujours boucher les trous en leur faisant faire des marches.
L’instruction militaire, voilà ce qu’il aimait ; il n’y avait pas à en démordre. La simple mise au point du programme pour chaque compagnie était tout un problème, mais pas un à la gomme. C’était un peu comme le remplissage des mots croisés. Le commandant alluma un cigare et regarda au-delà des cloisons de la cabane en tôle galvanisée, par-delà les cent mètres de jungle, vers l’océan qui clapotait doucement contre la plage. Il aspira profondément, savourant l’âcre odeur de poisson qui arrivait de l’eau. Il avait toujours fait de son mieux, personne ne lui disputerait cela. Une rosâtre satisfaction faisait des remous en lui.
A ce moment-là il eut son idée. Il donnera un coup de pouce à la classe de cartographie en y faisant afficher une photographie de Betty Grable en maillot de bain, couleur et grandeur nature, recouverte d’une carte quadrillée. L’instructeur pointera différentes parties de son anatomie et dira : « Donnez-moi les coordonnées. »
Crénom, quelle idée ! Le commandant rit sous cape de pur plaisir. C’est du coup qu’ils feront attention en classe, les petits troupiers.
Mais où allait-il se procurer une photo grandeur nature ? Le commandant chassa la cendre de son cigare. Il pouvait demander au sergent-chef de la lui procurer, mais il voulait être damné s’il allait faire l’imbécile en signant un ordre à cet effet. L’aumônier Davis peut-être, une bonne bête d’homme – mais non, il ferait mieux de ne pas s’adresser à lui.
Dalleson se gratta la tête. Il pouvait écrire au G. Q. G., Services Spéciaux. Ils n’auront probablement pas Grable, mais n’importe quelle fille à poil fera l’affaire.
C’était ça. Il écrira à l’armée. Et entre-temps il enverra une lettre au ministère de la Guerre,
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