Les Origines et la Jeunesse de Lamartine 1790-1812
hommes ; de là à courir aux sources, il n'y avait qu'un pas, et c'est ce que fit Lamartine.
Il y a plus encore : est-il possible en effet de méconnaître les curieuses ressemblances qui existent entre l'inquiète jeunesse de René et celle de Lamartine ? Comme René, il est «tour à tour bruyant et joyeux, silencieux et triste, abandonnant soudain ses camarades, pour aller s'asseoir à l'écart et contempler la nue fugitive ou entendre la pluie sur le feuillage» ; son âme, comme celle de René «qu'aucune passion n'a encore usée», cherche un objet qui puisse l'attacher et s'aperçoit bientôt qu'elle donne plus qu'elle ne reçoit ; comme René, la solitude absolue, le spectacle de la nature le plongent dans un état impossible à décrire» et la «surabondance de vie», les «grandes lassitudes» de René, Lamartine les éprouve à chaque instant. Le chapitre du Génie intitulé : «Du Vague des passions» n'aura jamais de meilleur commentaire que certaines lettres à Virieu : «Plus les peuples avancent en civilisation, dit Chateaubriand, plus cet état du vague des passions augmente, car le grand nombre d'exemples qu'on a sous les yeux, la multitude des livres qui traitent de ces sentiments rendent habile sans expérience. On est détrompé sans avoir joui ; il reste encore des désirs, et l'on n'a plus d'illusions. L'imagination est riche, abondante et merveilleuse, l'existence pauvre, sèche et désenchantée ; on habite avec un cœur plein un monde vide et, sans avoir usé de rien, on est désabusé de tout.» Dans ces lignes qui résument avec une telle précision son état d'âme habituel Lamartine retrouvait les sentiments confus qui l'animaient et c'était plus qu'il n'en fallait pour l'enthousiasmer.
Ainsi, on trouve dans Chateaubriand l'âme même de Lamartine ; non pas froidement analysée, mais mélancoliquement décrite et dans ses moindres nuances, avec le vague et la langueur qu'il aimait.
L'adolescent mystique de Belley, enclin déjà à la rêverie et à la solitude, fut dès la première lecture soumis à l'irrésistible attrait de cette prose harmonieuse, et dominé toute sa vie par ce grand souvenir. Beaucoup de ses poèmes ne sont que du Chateaubriand mis en vers, et ce ne fut pas une des moindres causes de son succès. Et plus il avance en âge, plus l'empreinte devient saisissante : visible déjà dans les Méditations, elle s'affirme dans les Harmonies, pour s'épanouir dans le Voyage en Orient et certains morceaux de Jocelyn ou de la Chute d'un ange.
Qu'est-ce, après tout, que l'épopée conçue par Lamartine et dont nous possédons le plan et quelques fragments, sinon un gigantesque et poétique Génie du Christianisme, dont Jocelyn aurait été le René, la Chute d'un ange l'Atala et dont les Pêcheurs, les Chevaliers, les Patriarches devaient être le développement de certains morceaux ?
Quant aux réminiscences de Chateaubriand, trop directes pour être douteuses, elles sont innombrables dans son œuvre et mériteraient une étude spéciale [La plupart ont été déjà signalées par M. Zyromski dans sa thèse sur Lamartine poète lyrique (1897).]. Mais Lamartine, avec le goût parfait qu'il apportait dans ses enthousiasmes littéraires, se garda de tomber dans la pompe et le Merveilleux chrétien de Chateaubriand ; les Martyrs lui déplurent ; le Génie des Rêveries, les Anges de la lassitude, du matin, du mystère, du temps et de la mort le choquèrent. De Chateaubriand il ne conserva que les grandes images, la poésie mélancolique et simple des choses qui passèrent sans effort dans sa poésie avec le rythme et les nuances de la prose originale.
QUATRIÈME PARTIE - LA FORMATION DE LA PERSONNALITÉ - CHAPITRE I - LA VIE SOLITAIRE
[Sources et bibliographie de la quatrième partie : Journal intime (passim).—Correspondance (t. I).—«Carnet de voyage de Lamartine» (publié par M. R. Doumie), Correspondant du 25 juillet 1008.—Nous devons à l'obligeance de M. Duréault d'avoir pris connaissance de l'important dossier qu'il a réuni sur Henriette Pommier, et d'une curieuse étude, lue par lui en séance publique à l'Académie de Mâcon et qui doit être publiée prochainement. Nous lui avons emprunté toute la documentation du chapitre III.
Une fois de plus, nous avons à déplorer le classement défectueux de la Correspondance et il serait à souhaiter qu'une main autorisée donnât promptement une édition complète et vérifiée de cet inestimable
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