Les Origines et la Jeunesse de Lamartine 1790-1812
même époque il commence à causer littérature» avec enthousiasme, confirme dès lors ce qu'il a dit lui-même de ce séjour à Crémieu.
Au début de décembre, c'est une véritable frénésie de travail qui le possède ; il veut vivre uniquement avec lui-même, au milieu des livres, renonce «à tout le train du monde» et profite de l'ennui qu'il éprouve pour mettre à profit sa solitude et sa jeunesse.
Avec sa petite expérience des derniers mois, il se demande bien où tout cela va le mener, mais, pour s'encourager, il évoque Rousseau travaillant en silence et préparant «de loin» ses succès. Sans nul doute, Rousseau est une des découvertes de Crémieu. La mère est enchantée de ce programme, qu'elle approuve pleinement, car, dit elle, «dans l'âge où il est, environné de beaucoup de séductions, il faut un miracle pour le préserver de tant d'écueils», et par tous les moyens elle encourage ce plan de travail.
On avait compté sans l'oncle terrible que cette belle vocation littéraire laissa fort indifférent. Au début de décembre, il fit comparaître son poétique neveu pour lui enjoindre de renoncer à son petit programme qu'il entendait remplacer par l'étude des sciences. Lamartine, on le sait, eut de tout temps les mathématiques en horreur : il supplia, pleura même, mais l'oncle fut intraitable ; de désespoir, puisque, disait-il, on voulait forcer son goût et son inclination, il commença à jouer de la Garde impériale, mit la mère de son côté et la délégua auprès de l'oncle ; on finit alors par s'entendre : les langues étrangères et les études littéraires furent conservées au programme, mais on y ajouta les sciences. Il était trop tard : l'enfant dégoûté avait perdu sa belle fièvre. Il ira bien chez le professeur de mathématiques, mais «résolu à n'y rien faire du tout qu'un peu semblant» et, puisqu'on le contraignait malgré lui à mener «une vie de fainéant», il en profitera pour s'amuser : et le voilà qui sort le soir, se montre au concert, au théâtre, qu'il aime maintenant «à la folie» et qu'il trouve, paraît-il, le seul amusement digne d'un homme de goût et de bon sens.
Sa mère, alors, s'effraye : «Son caractère, écrit-elle, m'inquiète chaque jour davantage : je lui ai fait promettre qu'il ne demanderait pas à aller au concert, moyennant quoi j'ai promis, de mon côté, que je le mènerais à Lyon pour quelques jours au mois de janvier.»
L'intervention de l'oncle n'avait pas été heureuse : faute d'avoir pris au sérieux son désir d'étudier, il avait découragé toute son ardeur ; au lieu de passer à Mâcon un hiver paisible, comme il le souhaitait, il va partir pour Lyon s'amuser, ce qui n'était guère son intention, contrairement à ce que l'on croyait autour de lui. Nous retrouverons souvent cette incompréhension du caractère de l'enfant.
La mère et le fils arrivèrent à Lyon, chez Mme de Roquemont, le 17 janvier 1809 et de suite il organisa sa petite existence ; s'il faut en croire une lettre à Virieu, il se levait tard, faisait un peu d'anglais, flânait l'après-midi à la bibliothèque publique, et terminait sa soirée au théâtre où il avait pris un abonnement ; à l'insu sans doute de sa mère, qui prétend au contraire à la même date avoir obtenu de lui qu'il n'irait «ni au spectacle, ni au bal masqué». La pauvre femme se plaint de n'avoir jamais mené un carnaval aussi «dissipé» ; «mais, dit elle, c'était impossible autrement, car je voulais procurer quelques plaisirs à Alphonse».
Tous deux étaient de retour à Mâcon le 10 mars, lui enchanté de son voyage, elle moins ; il constate alors avec un peu d'orgueil qu'il est beaucoup moins timide qu'au départ, et qu'à Mâcon on a une certaine considération pour un jeune homme qui a été passer l'hiver dans une grande ville : on le croit blasé sur tout et, dit-il, «cela donne une contenance».
Dès le retour, il avait repris ses projets d'étude et de travail ; le carême se passa tranquillement à Mâcon, dans la solitude et la lecture.
Mais cette fois, s'y prenant un peu à l'avance, il demanda bientôt l'autorisation d'aller étudier le droit à Lyon, au cours de l'année 1809.
L'oncle et le père refusèrent d'abord ; la mère comme toujours s'interposa, apaisa les colères naissantes, et chacun se fit des concessions réciproques : pour le droit, l'oncle réservait sa réponse, mais on lui accordait soixante louis de pension
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