Les Origines et la Jeunesse de Lamartine 1790-1812
raisonnable, mais son caractère me paraît toujours fort léger, ce qui rend les dangers du monde bien plus graves pour lui. Nous l'en tenons encore éloigné cette année, mais je frémis pour le moment où il sera exposé à cette contagion affreuse.»]».
Et, de fait, ses lettres montrent quelle fut sa joie enfantine de se retrouver à Saint-Point, où il arriva le 26 mai : ce furent des flâneries exquises dans les bois, des lectures sérieuses, des promenades à cheval, le tout entremêlé d'un peu de musique et de quelques délassements poétiques ; il sentait surtout «un redoublement d'amour pour l'étude et la poésie», et sa mère avouait ne plus le reconnaître devant une telle docilité.
Mais, avec la nature insatisfaite qu'on lui connaît et dont voici peut-être la première manifestation, il se lassa vite de son nouveau bonheur, il en vint à regretter Belley où, pourtant, à l'en croire, il n'était pas heureux. «Il faut que je m'occupe beaucoup pour ne pas m'ennuyer», confesse-t-il un jour à Virieu, et à Guichard, qui l'enviait et lui annonçait sa prochaine libération, il écrivait tristement : «Nous te verrons dans quatre ou cinq mois commencer à t'ennuyer dans ta retraite, au milieu de tes livres, de tes bois et de tes prétendus plaisirs ; tu regretteras dans peu la société de tes amis, les occupations et, que dis-je ? peut-être même les peines du collège... Tu m'en diras des nouvelles.» Si bien qu'à la mi-septembre il fut enchanté d'abandonner sa solitude pour se rendre à Crémieu, où Guichard l'avait invité ; la mère, toujours prudente, s'arrangea pour qu'à l'aller et au retour il couchât à Lyon chez Mme de Roquemont. «Ainsi, point d'auberge, ce qui pourrait être le plus dangereux.»
C'est avec beaucoup de détails que Lamartine a rapporté ce séjour dans l'Isère, tant il en avait gardé un profond souvenir : c'est en effet à Crémieu que pour la première fois il se plongea en silence «dans un océan d'eau trouble», ou, pour parler plus simplement, qu'il pénétra dans une bibliothèque bien garnie ; mais il a négligé de nous donner la date exacte de cet événement si important à fixer, puisqu'en huit jours tout l'édifice élevé par les Pères de la Foi va être détruit pour longtemps. Nous savons par sa mère qu'il quitta Milly le 27 septembre 1808, et qu'il était de retour à Mâcon le 16 octobre. Il est certain que Lamartine revint en Bourgogne dans un tout autre état d'esprit qu'au départ ; sa mère le constate elle-même, mais sans bien pouvoir en comprendre les motifs, et le 15 décembre elle consigne dans son Journal cette petite anecdote qui, rapprochée d'une lettre à Virieu nous fait assister à une transformation très sensible de l'état d'esprit du début de l'année :
«Lundi nous dinâmes à Bussière chez M. Verset, le notaire du lieu ; il y avait beaucoup de monde du voisinage, l'on fut très gai, l'on chanta, l'on fit des bouts-rimés. Alphonse fit des couplets ; il a une facilité incroyable pour tout ce qu'il veut. Il est plus que jamais tourmenté du désir de faire quelque chose, ce que je désire aussi beaucoup. Quand je serai à Mâcon, je tâcherai de lui trouver quelque maître de langues ; il aurait envie d'en apprendre, et je serai enchantée qu'il pût s'occuper utilement. Je suis effrayée de son retour à la ville, soit pour lui, soit pour moi. Il m'a bien tourmentée par son caractère inquiet, mais je tâche de le ramener tout doucement ; je supporte, c'est ma tâche actuelle.»
Pendant tout le mois de décembre Mme de Lamartine constate encore le grand désir qu'il a de s'instruire, d'apprendre l'anglais et l'italien ; elle note avec effroi son attitude lorsqu'à Pierreclos ou à Montceau on agite devant lui des questions littéraires [J. I., 12 octobre. «Mercredi, nous avons dîné à Pierreclos. Il y eut une conversation sur J.-J. Rousseau ; deux personnes de la société étaient ses zélés partisans, d'autres les réfutaient. Alphonse les écoutait attentivement et je craignais toujours qu'il ne prît les mauvaises impressions de préférence aux bonnes.»] ; elle se lamente sur son aspect de plus en plus renfermé et, indice plus grave, constate qu'il a beaucoup perdu de sa piété [J. I., 9 octobre, en parlant de son fils : «Hélas ! comme il est loin du seul bien qui pourrait contenter mon cœur» ; et 26 octobre.] ; tout cela, rapproché de la Correspondance où l'on voit qu'à cette
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