Les Piliers de la Terre
séant. Martha se retourna sans
s’éveiller. Tom alla jusqu’à la table et ôta le couvercle d’un pot de terre. Il
en tira une miche de pain à demi entamée et coupa deux épaisses tranches, une
pour lui et une pour Alfred. Ils s’assirent sur le banc pour prendre leur
déjeuner.
Il y avait
de la bière dans la cruche. Tom en but une grande lampée et passa le récipient
à Alfred. Agnès leur aurait fait utiliser des coupes, tout comme Ellen, mais il
n’y avait plus de femme à ma maison maintenant. Lorsqu’Alfred eut bu tout son
soûl, ils quittèrent la maison. Comme ils traversaient l’enclos du prieuré, le
ciel virait du noir au gris. Tom avait d’abord pensé aller jusqu’à la maison du
prieur et réveiller Philip, mais celui-ci avait eu la même idée que Tom et il
était déjà là, dans les ruines de la cathédrale, vêtu d’un gros manteau,
agenouillé sur la terre humide, en prière.
Il
s’agissait de tracer une ligne est-ouest, précise, qui formerait l’axe autour
duquel serait bâtie la nouvelle cathédrale.
Tom avait
déjà tout préparé. Dans la terre, du côté est, il avait planté une pique de fer
munie d’une petite boucle comme le chas d’une aiguille. La pique était presque
aussi haute que Tom, si bien que le chas se trouvait au niveau de ses yeux. Il
l’avait fixée en place avec un mélange de décombres et de mortier pour qu’on ne
la déplaçât pas accidentellement. Ce matin il allait en planter une autre,
juste à l’ouest de la première, du côté opposé du site.
« Prépare
du mortier, Alfred », dit-il.
Alfred
partit chercher du sable et de la chaux. Tom se rendit à sa cabane à outils
près du cloître et y prit un second maillet et la seconde pique. Puis il se
rendit à l’extrémité ouest du site où il attendit que le soleil se lève. Philip
termina ses prières et vint le rejoindre, tandis qu’Alfred gâchait le sable et
la chaux avec de l’eau.
Le ciel
s’obscurcit. Les trois hommes étaient tendus. Ils guettaient tous le mur ouest
de l’enceinte du prieuré. Enfin le disque rouge du soleil apparut en haut du
mur.
Tom se déplaça
afin de placer le bord du disque à travers la petite boucle formant le haut de
la pique. Puis, tandis que Philip priait à haute voix en latin, Tom éleva la
seconde pique pour la mettre contre le soleil. D’un geste ferme, il l’abaissa
vers le sol et enfonça son bout pointu dans la terre humide, sans jamais
quitter l’axe du soleil. Il prit le maillet à sa ceinture et enfonça
soigneusement la pique dans la terre jusqu’à ce que son chas soit à hauteur de
ses yeux. Il ferma un œil, regarda : le soleil brillait à travers les deux
boucles. Les deux piques étaient disposées suivant une parfaite ligne
est-ouest. Cette ligne fournirait donc l’orientation de la nouvelle cathédrale.
Il
s’écarta pour laisser le prieur regarder lui-même.
« Parfait »,
dit Philip.
Tom
acquiesça.
« Savez-vous
quel jour on est ? demanda Philip.
— Vendredi.
— C’est
aussi le jour du martyr de saint Adolphe. Dieu nous a envoyé un lever de soleil
pour que nous puissions placer l’église le jour de la fête de notre patron.
N’est-ce pas un bon signe ? »
Tom
sourit. A son sens, le bon travail comptait plus que les bons présages. Mais il
était content pour Philip. « En effet, dit-il, un très bon signe. »
IV
Aliena
était déterminée à ne plus y penser.
Elle resta
toute la nuit assise sur la pierre froide du sol de la chapelle, le dos au mur,
à fixer l’obscurité. Au début, la scène infernale revenait sans cesse à son
esprit, mais, peu à peu, la souffrance s’apaisa et elle put concentrer son
attention sur le bruit de la tempête, la pluie qui tombait sur le toit de la
chapelle et le vent qui hurlait sur les remparts du château abandonné.
Tout
d’abord elle était nue. Quand les deux hommes avaient… quand ils avaient eu
fini, ils étaient revenus à la table, la laissant allongée par terre, Richard
en sang auprès d’elle. Les hommes s’étaient mis à manger et à boire, ne pensant
plus à elle. Alors, saisissant leur chance, ils s’étaient enfuis de la pièce.
La tempête avait commencé à ce moment-là ; ils avaient traversé en courant
le pont sous une pluie torrentielle pour se réfugier dans la chapelle. Mais
Richard était retourné presque aussitôt au donjon et dans la pièce où se
trouvaient les hommes, pour reprendre son manteau et celui d’Aliena
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