Les Piliers de la Terre
dans sa maison, alors qu’il
avait six ans, pour tuer sa mère et son père. Il éprouva soudain un chagrin
inattendu pour les parents qu’il avait à peine connus. En regardant les hommes
du comte Percy, il fut envahi de rage, de dégoût et de la farouche
détermination de vaincre ces ruffians sans Dieu.
Pendant un
moment, ils ne bougèrent pas. Peu à peu, tous les carriers du comte sortirent
de la loge. Philip les compta : ils étaient douze, plus les deux hommes
d’armes.
Le soleil
pointa au-dessus de l’horizon.
Les
carriers de Kings-bridge découpaient déjà des blocs de pierre. Si les hommes
d’armes voulaient les arrêter, il leur faudrait porter la main sur les moines
qui entouraient et protégeaient les ouvriers. Philip avait calculé que les
sentinelles hésiteraient à troubler des moines en prière.
Pour
l’instant, il ne s’était pas trompé : les hommes hésitaient. Les deux
novices qu’on avait laissés derrière arrivèrent alors, conduisant les chevaux
et la charrette. Ils regardèrent autour d’eux avec crainte. Philip leur indiqua
du geste où ils devaient s’arrêter. Puis il se retourna, son regard croisa
celui de Tom le bâtisseur, et il fit un signe de tête.
Plusieurs
pierres coupées attendaient. Tom donna les instructions à quelques jeunes pour
qu’ils les ramassent et les entassent dans la charrette. Les hommes du comte
suivaient ce nouvel épisode avec intérêt. Les pierres, trop lourdes pour être
soulevées par un seul homme, devaient être descendues de l’échafaudage par des
cordes, puis, arrivées en bas, portées sur des brancards. Quand la première
pierre atterrit dans la charrette, les hommes d’armes se rassemblèrent autour
d’Harold. Un autre bloc suivit bientôt. Les gardes s’approchèrent de la
charrette. Un des novices, Philémon, y grimpa pour s’asseoir sur le chargement,
d’un air de défi. Brave garçon ! songea Philip. Mais il tremblait presque
d’appréhension.
Comme les
gardes atteignaient la charrette, les quatre moines qui avaient porté les
pierres se plantèrent devant, formant barrage. Philip retint son souffle. Les
hommes d’armes s’arrêtèrent devant les moines. En même temps, ils posèrent la
main sur le pommeau de leur épée. Les chants cessèrent.
Ils
n’oseront pas, se dit Philip, manier l’épée contre des moines sans défense.
Pourtant, quoi de plus facile pour eux, de grands et solides gaillards
habituées aux massacres du champ de bataille, que de plonger leur lame dans ces
corps dont ils n’avaient rien à craindre ? Mais ils craignaient peut-être
le châtiment éternel. Redoutaient-ils le feu divin ? Sans doute. Mais
aussi leur employeur, le comte Percy. Philip les vit hésiter. Les deux hommes
se regardèrent. L’un secoua la tête. L’autre haussa les épaules. Ils s’éloignèrent
de la carrière.
Le chantre
attaqua une nouvelle note et les moines entonnèrent un hymne triomphant. Un cri
de victoire monta des rangs des carriers de Kings-bridge. Philip poussa un
soupir de soulagement. Un moment, il avait redouté le pire, maintenant il
rayonnait de plaisir. La carrière était à lui. Il souffla sa chandelle et se
dirigea vers la charrette. Il étreignit chacun des quatre moines qui avaient
affronté les hommes d’armes et les deux novices encore émus. « Je suis
fier de vous, dit-il avec chaleur. Et je suis persuadé que Dieu l’est
aussi. »
Moines et
carriers échangeaient poignées de main et congratulations. Otto le Noir vint
vers Philip : « Bien joué, père Philip. Permettez-moi de vous dire
que vous êtes un homme brave.
— Dieu
nous a protégés » répondit le prieur. Son regard tomba sur les carriers du
comte, qui formaient un petit groupe désolé devant la porte de leur chalet. Il
ne voulait pas s’en faire des ennemis car le risque existait toujours que Percy
les utilise pour provoquer d’autres troubles. Philip décida de leur parler.
Il prit
Otto par le bras et l’entraîna vers le chalet. « La volonté de Dieu a été
faite aujourd’hui, dit-il à Harold. J’espère qu’il n’y a pas chez vous de
rancœur.
— Nous
sommes sans travail, dit Harold. Ça entraîne la rancœur.
Philip
entrevit soudain comment se gagner les hommes de Harold. « Si vous voulez,
dit-il brusquement, vous pouvez retrouver du travail aujourd’hui même.
Travaillez pour moi. J’engage toute votre équipe. Vous n’aurez même pas à
quitter votre chalet. »
Harold ne
cacha pas
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