Les Piliers de la Terre
pièce.
Walter
prit le premier tour. C’était un avantage car, le chat, même méfiant, ne connaissait
pas la nature du jeu et risquait d’être pris par surprise. Le dos tourné à
l’animal, Walter choisit sur le tas une pierre qu’il dissimula dans sa
main ; puis il se retourna lentement et soudain la lança. Raté. La pierre
heurta la porte avec un bruit sourd, le chat sursauta et détala. Les joueurs
ricanèrent.
C’était
moins facile de lancer en second, car le chat était encore frais et léger sur
ses pattes ; plus tard il serait fatigué, peut-être blessé. Un jeune
écuyer, pierre en main, regarda la bête courir autour de la pièce en cherchant
une issue et attendit qu’elle ralentisse ; puis il lança la pierre. Il
avait bien visé, mais le chat put esquiver. Les jeunes gens grognèrent.
Le chat
s’affolait. Le joueur suivant, un chevalier plus âgé, fit d’abord semblant de
lancer pour voir dans quelle direction le chat s’enfuyait puis, visant un peu
en avant l’animal, il projeta sa pierre. Les autres applaudirent à cette
manouvre, mais l’animal s’arrêta pile avant qu’elle retombe.
Désespérée,
la bête essaya de se glisser derrière un coffre de chêne dans un coin. Le
quatrième joueur saisit l’occasion : il lança sans attendre son projectile
sur le chat immobile et le frappa à la croupe. Des acclamations s’élevèrent. Le
chat, renonçant à se cacher, se remit à courir dans la salle. Il boitait et se
déplaçait moins vite.
C’était
maintenant à William. Pour fatiguer encore la bête, il commença à crier,
l’obligeant à courir plus vite ; puis il feignit de lancer, ce qui eut le
même effet. Qu’un autre joueur lanterne ainsi, on l’aurait hué. Mais William
était le fils du comte, aussi attendit-on patiemment. Le chat ralentit,
souffrant visiblement. William prit son élan mais le chat se plaqua soudain
contre le mur, près de la porte. Au moment où William lançait, la porte s’ouvrit
toute grande et un prêtre en noir apparut. William ne put retenir son geste,
mais le chat jaillit de la pièce comme une flèche d’un arc et disparut. Le
prêtre poussa un cri d’effroi en rassemblant les plis de sa robe. Les jeunes
gens éclatèrent de rire.
William
reconnut le prêtre : c’était l’évêque Waleran.
Ce rival
de la famille tremblait devant un chat ! William redoubla de rire.
L’évêque
retrouva immédiatement son sang-froid. Rouge de colère, il braqua sur William
un doigt accusateur : « Vous souffrirez un éternel tourment dans les
profondeurs de l’enfer », grinça-t-il.
Le rire de
William s’étrangla dans sa gorge. Sa mère lui avait donné tellement de
cauchemars, quand il était petit, en lui racontant ce que les démons faisaient
aux damnés que depuis il avait horreur de seulement en entendre parler.
« Taisez-vous ! » cria-t-il à l’évêque. Le silence tomba dans la
pièce. William dégaina son couteau et s’avança vers Waleran. « Ne venez
pas prêcher ici, serpent ! » Waleran n’avait pas l’air du tout
effrayé, simplement intrigué, comme si cela l’intéressait d’avoir découvert la
faiblesse de William ; la colère du jeune homme augmenta : « je
vais vous faire taire, moi… »
Il ne se
contrôlait plus. Heureusement une voix dans l’escalier derrière lui l’arrêta.
« William ! Assez ! »
C’était
son père.
William
laissa retomber son bras et rengaina son poignard. Waleran avança dans la
salle. Un autre prêtre le suivait et ferma la porte derrière lui : le
doyen Baldwin.
« Je
suis surpris de vous voir, évêque, dit Percy.
— Parce
que la dernière fois que nous nous sommes rencontrés vous avez aidé le prieur
de Kings-bridge à me duper ? Je pense que vous devez être en général un
homme qui pardonne. » Son regard glacé vint un moment se poser sur
William, puis revint à son père. « Mais je n’ai pas de rancune quand c’est
contre mes intérêts. Il faut que nous parlions. »
Percy
acquiesça. « Venez. Toi aussi, William. »
L’évêque
Waleran et le doyen Baldwin gravirent l’escalier qui menait aux appartements du
comte, suivis de William. Celui-ci, quoique déçu que le chat se fût échappé,
comprit qu’il avait eu de » la chance aussi : s’il avait touché
l’évêque, il aurait pu être perdu. N’empêche : il y avait quelque chose
dans les façons délicates et précieuses de Waleran que William abhorrait.
Ils
entrèrent tous
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