Les Piliers de la Terre
son étonnement devant la tournure des événements. Puis il retrouva
son sang-froid : « A quel salaire ?
— Le
tarif habituel, répondit Philip. Deux pence par jour pour les artisans, un
penny pour les ouvriers, quatre pence pour vous et c’est vous qui payez vos
apprentis. »
Harold se
retourna vers ses collègues. Philip entraîna Otto à l’écart pour les laisser
discuter entre eux. Philip n’avait pas vraiment les moyens d’engager douze
hommes de plus. S’ils acceptaient son offre, il devrait remettre à plus tard le
jour où il pourrait embaucher les maçons. Autrement dit, les pierres
arriveraient plus vite qu’il ne pourrait les utiliser. Elles s’accumuleraient,
ce qui n’était pas bon pour ses finances. Toutefois, mettre les carriers de
Percy à la solde du prieuré constituait une défense habile. Si Percy voulait de
nouveau exploiter lui-même la carrière, il devrait engager une nouvelle équipe,
ce qui n’irait pas sans mal dès l’instant qu’on connaîtrait les événements du
jour. Autre remarque : si dans l’avenir Percy tentait un autre stratagème
pour fermer la carrière, Philip disposerait d’une réserve de pierres.
Harold
discutait vivement avec ses hommes. Enfin, il les laissa et revint vers Philip.
« Qui commandera, si nous travaillons pour vous ? Moi, ou votre
maître carrier ?
— C’est
Otto qui commande », dit Philip sans hésitation. Harold assurément ne
pouvait pas le faire, au cas où sa parole reviendrait à Percy. Quant à
maintenir deux maîtres, c’était la dispute assurée. « Vous pouvez toujours
diriger votre propre équipe, dit Philip à Harold. Mais Otto sera au-dessus de
vous. »
Harold,
déçu, retourna vers ses hommes. La discussion se poursuivit. Tom le bâtisseur
vint rejoindre Philip et Otto. « Votre plan a marché, mon père, dit-il
avec un large sourire. Nous avons repris possession de la carrière sans verser
une goutte de sang. Vous êtes étonnant. »
Philip
aurait volontiers acquiescé, mais il se rendit compte qu’il était menacé du
péché d’orgueil. « C’est Dieu qui a fait le miracle, corrigea-t-il.
— Le
père Philip, dit Otto, a proposé d’engager Harold et ses hommes pour travailler
avec moi.
— Vraiment ! »
Tom fronça les sourcils. Seul le maître bâtisseur recrutait sa main-d’œuvre,
pas le prieur.
« Je
n’aurais pas cru qu’il en avait les moyens.
— Je
ne les ai pas, reconnut Philip. Mais je ne veux pas voir ces hommes traîner
sans rien faire, en attendant que Percy trouve un autre moyen de reprendre la
carrière. »
Tom parut
songeur, puis il hocha la tête. « Et ça ne nous fera pas de mal d’avoir
une réserve de pierres au cas où Percy réussirait. »
Philip se
réjouit que Tom comprenne ce qu’il avait fait. Harold, de son côté semblait
arriver à un accord avec ses hommes. Il revint vers Philip :
« Voudrez-vous me payer les gages et me laisser distribuer l’argent comme
je le juge bon ? »
Philip
hésitait. Le maître carrier risquait de prendre plus que sa part. Il se
déroba : « C’est au maître bâtisseur de décider.
— La
pratique est assez courante, dit Tom. Si c’est le vœu de votre équipe, j’accepte.
— Dans
ce cas, nous sommes d’accord », dit Harold. Harold et Tom échangèrent une
poignée de main. « Ainsi, dit Philip, chacun a ce qu’il veut. Bravo !
— Il
y a quelqu’un qui n’a pas ce qu’il veut, dit Harold.
— Qui
donc ?
— Regan,
la femme du comte Percy. Quand elle va apprendre la nouvelle, le sang va
couler. »
VIII
Il n’y
avait pas chasse ce jour-là, aussi les jeunes d’Earlscastle jouaient-ils à l’un
des jeux favoris de William Hamleigh : la pierre au chat. Le château
abritait toujours un grand nombre de chats ; un de plus ou de moins ne
changeait rien.
On fermait
les portes et les volets de la salle du donjon, puis on repoussait les meubles
contre le mur pour que le chat ne profite d’aucune cachette ; ensuite, on
disposait une pile de pierres au milieu de la pièce. Le chat, un vieux matou
grisonnant, sentait dans l’air la soif du sang et restait assis près de la
porte, guettant l’occasion de filer.
Chaque
joueur devait mettre un penny dans le pot pour chaque pierre qu’il lançait et
c’était celui qui lançait la pierre fatale qui emportait le pot.
Tandis
qu’ils tiraient au sort dans quel ordre ils allaient jouer, le chat commença à
s’agiter et à courir dans la
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