Les Piliers de la Terre
considérable. Pour épouser la pente raide, le rez-de-chaussée des
maisons accusait un décalage de plusieurs pieds d’un côté à l’autre. La partie
inférieure abritait toujours l’échoppe d’un artisan ou une boutique. Les seules
places découvertes étaient les cimetières auprès des églises et les marchés aux
grains, aux volailles, à la laine, au cuir… Philip et Richard, suivis de leur
petite escorte, se dégagèrent tant bien que mal un chemin dans la foule dense
des habitants de la ville, des hommes d’armes, des animaux et des charrettes.
Philip constata avec étonnement que la rue elle-même était pavée. Quelle
richesse ici, songea-t-il, pour qu’on recouvre la rue de pierre, comme si
c’était un palais ou une cathédrale. La chaussée était glissante d’ordures et
d’excréments d’animaux, mais c’était bien préférable aux torrents de boue qui
en hiver constituaient les artères des villages.
Au sommet
de la colline, après une autre porte ils pénétrèrent au cœur de la ville où
l’atmosphère, soudain, leur parut différente : apparemment plus calme,
mais en réalité très tendue. A leur gauche se trouvait l’entrée du château
fort. La grande porte bardée de fer qui fermait la voûte était soigneusement
cadenassée. Des silhouettes évoluaient derrière les meurtrières du poste de
garde et des sentinelles armées patrouillaient sur les remparts ; sous le
faible soleil, leurs casques en acier bruni luisaient. Philip les regarda aller
et venir. Pas de conversations entre eux, pas de bousculades ni de rires, pas
desifflets ni de cris pour appeler les filles qui passaient : ils
étaient aux aguets et ils avaient peur.
A la
droite de Philip, à moins de deux cents toises de la porte du château, se
dressait la façade ouest de la cathédrale. Philip remarqua que, malgré la
proximité du château, on avait installé le quartier général du roi. Un cordon
de sentinelles bordait l’étroite route qui menait des maisons des chanoines à
l’église. Le cimetière avait tout d’un camp retranché, avec des tentes, des
feux de camp et des chevaux qui broutaient l’herbe. Pas de bâtiment monastique :
la cathédrale de Lincoln n’était pas desservie par des moines, mais par des
prêtres appelés chanoines, qui vivaient dans des logis proches de l’église.
Entre la
cathédrale et le château s’étendait un espace désert. Philip se rendit compte
qu’aussi bien les gardes du côté du roi que les sentinelles sur les remparts ne
les quittaient pas des yeux. Ils se trouvaient exactement entre les deux
armées, sans doute à l’endroit le plus dangereux de Lincoln. Comme Richard et
ses compagnons avaient déjà avancé, Philip s’empressa de les suivre.
Les
sentinelles du roi les laissèrent passer : Richard était bien connu.
Philip ne put s’empêcher d’admirer la façade de la cathédrale. Elle avait un
énorme portail principal et de chaque côté des arches impressionnantes. On aurait
dit la porte du paradis. Philip décida aussitôt de prévoir de grandes arches
sur la façade ouest de la cathédrale de Kingsbridge.
Abandonnant
les chevaux à la garde de l’écuyer, Philip et Richard traversèrent le campement
et pénétrèrent dans la cathédrale. Il y avait à l’intérieur une foule encore
plus épaisse qu’à l’extérieur. Dans les bas-côtés transformés en écuries, des
centaines de chevaux étaient attachés aux colonnes. Des hommes armés
emplissaient la nef, au milieu des feux de camp et des litières. On parlait
anglais, français et un peu flamand. Troublé, et même choqué, Philip nota que
les chevaliers réunis là jouaient de l’argent aux dés. Sa gêne augmenta encore
à l’apparition de femmes vêtues bien légèrement pour l’hiver, apparemment peu
farouches avec les hommes – presque, songea le prieur, comme des pécheresses ou
même, Dieu leur pardonne, des prostituées.
Pour
éviter ce spectacle, il leva les yeux vers le plafond en bois, magnifiquement
peint. Quelle imprudence, pensa Philip. Avec tous ces gens qui faisaient du feu
dans la nef, c’était l’incendie assuré. Il suivit Richard dans la foule. Lui
semblait fort à l’aise dans ce milieu, l’air assuré, plein de confiance,
s’inclinant devant les barons et les seigneurs, saluant les chevaliers de
grandes claques dans le dos.
La partie
est de la cathédrale, délimitée par des cordes, restait réservée aux prêtres.
La croisée servait pour
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