Les Piliers de la Terre
près de cinq ans. Ton anniversaire tombe la semaine prochaine, car tu nous
es arrivé le premier jour de l’année.
— D’où
est-ce que je venais ?
— De
Dieu. Toutes choses viennent de Dieu. »
Jonathan,
sans bien comprendre, sentait que la réponse ne suffisait pas. « Mais où
j’étais avant ? insista-t-il.
— Je
ne sais pas. »
Jonathan
fronça les sourcils avec un air sérieux inattendu sur son jeune visage
insouciant. « Je devais être quelque part », murmura-t-il comme pour
lui-même.
Un jour,
pensa Philip, il faudrait lui expliquer les mystères de la naissance… Il
grimaça. Qui s’en chargerait ? Enfin, heureusement ce n’était pas encore
le moment. Il changea de sujet. « Pendant mon absence, je veux que tu
apprennes à compter jusqu’à cent.
— Je
sais compter, assura Jonathan. Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit,
neuf, dix, onze, douze, treize, quatorze, pinze, veize, ozett…
— Pas
mal, dit Philip. Frère Osmond t’en apprendra davantage. Tu iras sagement dans
la salle d’école et tu feras tout ce qu’il te dira.
— Je
vais être le meilleur de la classe ! promit Jonathan.
— Nous
verrons. » Philip s’émerveillait toujours des manières de l’enfant, de son
développement, de la façon dont il apprenait les choses, des phases qu’il
traversait. Cette récente passion pour le latin, le calcul ou la course
signifiait-elle un prélude nécessaire au véritable apprentissage ? Dieu
sait ce qu’il fait. Tout a un sens. Un jour Jonathan serait un homme. Quelle
sorte d’homme ? Soudain, Philip se sentit impatient de voir Jonathan
grandir. Mais il faudrait autant de temps que pour construire la cathédrale.
« Alors,
donne-moi un baiser et dis-moi au revoir. »
Jonathan
se hissa sur la pointe des pieds, visage levé et Philip posa un baiser sur la
joue si douce. « Au revoir, mon père, dit Jonathan.
— Au
revoir, mon fils. »
Le prieur,
au passage, serra affectueusement le bras de Johnny Huit Pence et sortit.
Les
moines, quittant la crypte, se dirigeaient vers le réfectoire. Philip prit la
direction opposée et descendit dans le sanctuaire afin de prier pour la
réussite de sa mission.
Son cœur
s’était brisé en apprenant ce qui s’était passé à la carrière. Cinq victimes,
dont une petite fille ! Philip s’était caché chez lui pour pleurer comme
un enfant. Cinq de ses ouailles frappées à mort par William Hamleigh et sa
meute de brutes. Philip connaissait toutes les victimes : Harry de
Shiring, qui avait jadis été le carrier de lord Percy ; Otto le Noir,
l’homme à la peau sombre qui dirigeait la carrière depuis le début ; Marc,
le magnifique fils d’Otto ; la femme de Marc, Alwen, qui jouait des airs
le soir sur des clochettes à moutons ; et Norma, la petite fille d’Otto,
sept ans, la prunelle de ses yeux. De braves gens, craignant Dieu,
travailleurs, qui avaient le droit d’attendre paix et justice de leur seigneur.
William les avait massacrés comme un renard égorge des poules. Il y avait de
quoi faire pleurer les anges.
Philip
s’était vite ressaisi pour courir à Shiring réclamer justice. Le shérif
Eustache avait refusé tout net de prendre la moindre mesure. « Lord
William a une véritable petite armée : comment voulez-vous que je
l’arrête ? Le roi a besoin de chevaliers pour renforcer sa lutte contre
Maud : que dira-t-il si je jette en prison l’un de ses meilleurs
vassaux ? Si je me risquais à accuser William de meurtre, ou bien ses
chevaliers me tueraient sur-le-champ, ou bien je serais pendu quelques jours
plus tard comme traître par le roi Stephen. »
La
première victime d’une guerre civile, c’est la justice, avait conclu Philip.
Pour comble, le shérif lui avait annoncé que William avait officiellement porté
plainte contre le marché illégal de Kingsbridge.
Si
ridicule, si invraisemblable que fût la situation – William commettant un
meurtre impunément et en même temps accusant Philip pour des histoires
d’administration – Philip se sentait désemparé. En effet, il n’avait pas la
permission de tenir un marché et à strictement parler, il se trouvait dans son
tort. Mais tout de même, il était le prieur de Kingsbridge. Son seul bien,
c’était son autorité morale. William pouvait rassembler une armée de
chevaliers ; l’évêque Waleran utiliser ses amis haut placés ; le
shérif revendiquer l’autorité du roi ; Philip, lui, n’avait
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