Les Piliers de la Terre
était devenu un
beau jeune homme aux épaules larges, ses traits réguliers marqués seulement par
une vilaine cicatrice à l’oreille droite : on pensait généralement qu’un
accident d’escrime lui avait coupé le lobe droit. Magnifiquement vêtu de rouge
et de vert, il tenait une épée neuve, tout comme sa lance, sa hache d’armes et
sa dague. Un second cheval qu’il menait par la bride portait ses bagages. Deux
hommes d’armes à cheval et un écuyer monté sur un bidet constituaient son
escorte.
Aliena
pleurait. Philip n’aurait su dire si elle regrettait le départ de son frère,
fière néanmoins qu’il eut si bonne allure, ou si elle craignait de ne plus le
voir revenir. La plupart des jeunes du village se bousculaient pour saluer
Richard. C’était leur héros. Les moines aussi n’avaient pas manqué de venir
souhaiter bon voyage à leur prieur.
Les
garçons d’écurie amenèrent deux bêtes, un palefroi sellé pour Philip et un
mulet chargé de son modeste bagage – essentiellement des vivres pour le voyage.
Les bâtisseurs déposèrent leurs outils et s’approchèrent, menés par Tom le
barbu et son rouquin de beau-fils, Jack.
Philip
étreignit cérémonieusement Remigius, le sous-prieur, et fit des adieux plus
chaleureux à Milius et à Cuthbert, puis enfourcha sa monture. Il allait rester
juché sur cette selle inconfortable chaque jour quatre semaines durant, se
dit-il sans joie. Une fois installé, il bénit rassemblée qui, d’une même voix –
moines, bâtisseurs et villageois – lui cria adieu en agitant la main. Côte à
côte, Richard et le prieur franchirent les portes de l’enceinte.
Ils
descendirent l’étroite rue qui traversait le village, saluant les gens sur le
pas de leur porte, passèrent le pont de bois et s’engagèrent sur la route à
travers champs. Philip se retourna : le soleil levant brillait à la place
ménagée pour la fenêtre sur la façade est de la nouvelle cathédrale. S’il
échouait dans sa mission, cette fenêtre ne serait jamais terminée. Après tout
ce qu’il avait subi pour en arriver jusque-là, Philip ne pouvait maintenant
supporter l’idée de la défaite. Il tourna le dos au chantier et concentra son
attention sur la route devant lui.
Lincoln
était bâtie sur une colline. De loin, les voyageurs distinguèrent les tours de
la cathédrale et les remparts du château. Ils se croyaient encore à plus d’une
lieue quand, à la stupéfaction de Philip, ils se trouvèrent devant une porte de
la ville. Les faubourgs devaient être immenses, songea-t-il, et la population
se compter par milliers d’habitants.
A Noël,
Lincoln avait été prise par Ranulf de Chester, l’homme le plus puissant du nord
de l’Angleterre et parent de l’impératrice Maud. Stephen avait depuis lors
reconquis la ville, mais les troupes de Ranulf tenaient toujours le château
fort. Dès leur arrivée, Philip et Richard apprirent non sans étonnement que
Lincoln avait l’étrange privilège d’abriter deux armées rivales à l’intérieur
de ses murs.
Au cours
des quatre semaines qu’ils avaient passées ensemble, Philip ne s’était guère
attaché à Richard. Le frère d’Aliena, un jeune homme coléreux, haïssait les
Hamleigh et ne pensait qu’à se venger ; de plus, il parlait comme si
Philip partageait ses sentiments. Mais il y avait une différence : Philip
abhorrait les Hamleigh pour la manière dont ils traitaient leurs sujets, alors
que l’obsession de Richard ne le laisserait en paix que lorsqu’il aurait
détruit les Hamleigh. Ses mobiles étaient purement égoïstes.
Quoique
courageux et toujours prêt à se battre, à d’autres égards Richard se montrait
faible. Il déconcertait ses hommes d’armes en les traitant parfois comme des
égaux, parfois en domestiques. A la fin du voyage, Philip avait désormais son
opinion : Aliena valait dix fois Richard.
Ils
passèrent devant un grand lac couvert de bateaux : puis, au pied de la
colline, ils franchirent la rivière qui formait la limite sud de la ville
proprement dite. Lincoln vivait de la navigation. De l’autre côté du pont, se
trouvait un marché aux poissons. Ils franchirent une autre porte gardée et,
laissant derrière eux les faubourgs, pénétrèrent dans la ville. Une rue étroite
et incroyablement encombrée gravissait la colline droit devant eux. Les maisons
qui se pressaient de chaque côté étaient tout ou partie en pierre, signe d’une
richesse
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