Les Piliers de la Terre
l’instant de résidence au roi. Une rangée de gardes,
puis une foule de courtisans, puis un cercle de comtes protégeaient le roi
Stephen, qui siégeait au centre sur un trône de bois. Comme il avait vieilli
depuis sa dernière rencontre avec Philip, cinq ans plus tôt à Winchester !
L’inquiétude avait creusé des rides sur son beau visage et saupoudré de gris
ses cheveux fauves, il avait maigri à la suite de cette année de combats.
Tandis que
Stephen poursuivait une discussion animée avec ses comtes, Richard s’avança au
centre et s’inclina cérémonieusement. D’un coup d’œil, le roi le reconnut et
claironna d’une voix tonnante : « Richard de Kingsbridge ! Je
suis heureux de te voir revenu.
— Merci,
mon seigneur », dit Richard.
A son tour
Philip s’approcha et s’inclina.
« Tu
prends des moines comme écuyers, maintenant ? » demanda le roi. Les
courtisans éclatèrent de rire.
« Seigneur,
dit Richard, voici le prieur de Kingsbridge. »
Stephen
toisa Philip et son visage s’éclaira.
« Bien
sûr, je connais le prieur… Philip. » Son intonation, néanmoins, manquait
de chaleur. « Venez-vous vous battre pour moi ? » Les rires
redoublèrent.
Philip se
félicitait que le roi se fût rappelé son nom. D’un ton ferme, il déclara :
« Je suis ici parce que l’œuvre divine de Kingsbridge a besoin d’une aide
urgente de mon seigneur le roi.
— Il
faudra m’expliquer cela, interrompit Stephen. Venez me voir demain, j’aurai
plus de temps à vous consacrer. » Il se retourna vers les comtes et reprit
sa conversation. Richard s’inclina avant de se retirer, imité par Philip.
Le
lendemain, Philip ne parla pas au roi Stephen. Ni le surlendemain. Ni le jour
d’après.
Le premier
soir, il s’était installé dans une taverne, mais l’odeur constante de la viande
qui rôtissait l’importunait, ainsi que le rire des femmes de mauvaise vie. Il
n’y avait malheureusement pas de monastère en ville. En temps normal, l’évêque
aurait accueilli le prêtre, mais le roi occupait le palais épiscopal et toutes
les maisons autour de la cathédrale étaient bourrées des membres de l’entourage
de Stephen. La deuxième nuit, Philip quitta la ville, dépassa le village de
Wigford et un peu plus loin trouva un monastère qui comprenait un hospice pour
les lépreux. Là, il trouva du pain noir et de la petite bière pour souper, un
matelas dur à même le sol, le silence du crépuscule jusqu’à minuit, les offices
aux petites heures du matin et un déjeuner de porridge sans sel. Il n’en
demandait pas plus.
Chaque
matin il se rendait à la cathédrale, muni de la précieuse charte qui
garantissait au prieuré l’usufruit de la carrière de pierre. Jamais le roi ne
remarquait sa présence.
Il savait
pourquoi on le faisait attendre : le torchon brûlait entre l’Église et le
roi. Stephen n’avait pas tenu les promesses généreuses qu’on lui avait
arrachées au début de son règne. Il s’était fait un ennemi de son frère,
l’habile évêque Henry de Winchester, en soutenant un autre candidat au poste
d’archevêque de Canterbury – décision qui n’avait pas moins déçu Waleran Bigod,
car celui-ci comptait s’élever dans le sillage de Henry. Mais le pire aux yeux
de l’Église, c’est que Stephen avait fait arrêter l’évêque Roger de Salisbury,
plus les deux neveux de celui-ci – respectivement évêques de Lincoln et d’Ely –
le tout dans la même journée, sous le prétexte qu’ils bâtissaient des châteaux
sans l’autorisation du roi. Devant ce sacrilège, des protestations unanimes
s’étaient élevées des cathédrales et des monastères de tout le pays. Stephen
avait durci sa position : en tant qu’hommes de Dieu, les évêques n’avaient
pas besoin d’un château fort, estimait-il ; s’ils choisissaient d’en
construire, c’est qu’ils s’attendaient à être traités autrement qu’en hommes de
Dieu. Stephen était aussi sincère que naïf.
L’Église
et le roi avaient fini, plus ou moins à contrecœur, par signer une paix toute
relative. Mais Stephen n’était plus pressé d’entendre les pétitions des saints
hommes, aussi Philip dut-il patienter. Il en profita pour méditer, ce qu’il
n’avait plus guère le temps de faire en tant que prieur. Soudain, il se
retrouvait désœuvré pendant des heures entières, ce qu’il mit à profit pour
réfléchir.
Un matin –
le septième de son séjour
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