Les Piliers de la Terre
Philip, bougonna
William, qui sentait ses espoirs renaître.
— Ce
n’est pas de mon ressort, répéta Waleran, mais je vais parler à l’évêque
Henry. » Il regarda William comme s’il attendait une réponse.
William
hésita. Enfin, à contrecœur, il marmonna : « Je vous remercie. »
Le
printemps cette année-là fut froid et triste. Le matin de la Pentecôte, il
pleuvait. Aliena s’était réveillée au milieu de la nuit, souffrant du dos, et
la douleur n’avait pas encore disparu. Assise dans la cuisine glacée, elle
tressait les cheveux de Martha avant d’aller à l’église, tandis qu’Alfred
engloutissait un solide déjeuner de pain blanc, de fromage et de bière. Soudain
Aliena se redressa, les mains plaquées sur les reins. Alertée, Martha
l’interrogea.
« Qu’as-tu ?
— Mal
au dos », dit brièvement Aliena. Elle n’avait pas envie d’en parler, car
personne ne savait, pas même Martha, qu’elle dormait par terre, dans la petite
pièce exposée aux courants d’air, depuis des mois.
La
fillette se leva pour aller prendre dans le feu une pierre brûlante, qu’elle
enveloppa dans un vieux bout de cuir usagé et appuya contre le dos d’Aliena. Le
soulagement fut immédiat. A son tour, Martha tressa les cheveux d’Aliena. Ils
avaient repoussé et formaient de nouveau une masse indisciplinée de boucles
brunes. Aliena se sentit mieux.
Martha et
elle étaient devenues très proches depuis le départ d’Ellen. Pauvre
Martha : elle avait perdu sa mère, puis sa belle-mère. Aliena, de dix ans
seulement plus âgée, jouait le rôle de sœur aînée plutôt que de mère, pour
l’adolescente abandonnée. Mais la personne qui lui manquait le plus, c’était
son demi-frère, Jack.
Il est
vrai que Jack manquait à tout le monde.
Aliena
pensait constamment à lui. Où était-il ? Tout près, peut-être, à
Gloucester ou à Salisbury. A moins qu’il ne soit en Normandie. Ou bien plus
loin : Paris, Rome, Jérusalem, l’Égypte. Se rappelant les récits que
faisaient les pèlerins de ces contrées exotiques, elle imaginait Jack au milieu
d’un désert sablonneux, sculptant des pierres pour une forteresse sarrasine sous
un soleil aveuglant. Pensait-il à elle aussi ?
Ses
réflexions furent interrompues par un bruit de sabots, dehors, et Richard
entra, tenant son cheval par la bride, homme et bête trempés et couverts de
boue. Aliena versa de l’eau chaude dans un récipient pour que son frère se lave
les mains et le visage pendant que Martha emmenait le cheval dans la cour.
Aliena déposa sur la table de la cuisine du pain et du bœuf froid et versa une
coupe de bière.
« Quelles
sont les nouvelles de la guerre ? » demanda Alfred.
Richard
s’assit. « Nous avons été battus à Wilton, répondit-il.
— Stephen
est prisonnier ?
— Non,
il s’est échappé, tout comme Maud avait réussi à quitter Oxford. Stephen se
trouve maintenant à Winchester et Maud à Bristol. Chacun lèche ses plaies et consolide
ses positions dans les régions qu’il contrôle. »
La
situation s’éternisait, se dit Aliena. Un camp ou l’autre remportait une petite
victoire, subissait une petite défaite, mais on ne voyait jamais la fin de la
guerre.
Richard
examina sa sœur et remarqua : « Tu as grossi. »
Elle
acquiesça sans rien dire. Bien qu’elle fût enceinte de huit mois, personne ne
connaissait la vérité. Par bonheur, le temps froid l’autorisait à se cacher
sous plusieurs couches de vêtements d’hiver qui dissimulaient ses formes. Mais
dans quelques semaines, le bébé allait naître et la vérité éclaterait. Elle
n’avait encore aucune idée de ce qu’elle ferait.
La cloche
sonna pour appeler les fidèles à la messe. Alfred enfila ses bottes et se
tourna vers Aliena.
« Je
ne crois pas que je vais vous accompagner, dit-elle. Je ne me sens pas bien du
tout. »
Il haussa
les épaules d’un air indifférent et se tourna vers Richard. « Venez,
Richard, tout le monde sera là aujourd’hui : c’est le premier office
célébré dans la cathédrale.
— Le
plafond est fini ? s’étonna Richard. Je croyais que les travaux dureraient
jusqu’à la fin de l’année.
— Nous
avons fait vite. Le prieur Philip a offert aux hommes une semaine de gages
supplémentaire s’ils terminaient aujourd’hui. Ils ont travaillé à une vitesse
stupéfiante et ce matin même nous avons descendu les derniers coffrages.
— Il
faut que je voie
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