Les Piliers de la Terre
ne revienne jamais.
Aliena,
elle, était visiblement malheureuse avec Alfred, même si Philip ne croyait pas
à l’effet de la malédiction. Il ne savait pratiquement rien de la vie
conjugale, mais il devinait qu’une personne vive et instruite comme Aliena ne
pouvait que souffrir de partager la vie d’un homme à l’esprit aussi lent et
étroit qu’Alfred.
Aliena
aurait dû épouser Jack, bien sûr. Philip s’en rendait compte maintenant et il
se reprochait de s’être si obstinément buté sur les projets qu’il avait faits
pour Jack ; il n’avait pas compris les vrais besoins de ce garçon. Philip
avait eu tort de lui imposer une vie monastique pour laquelle il n’était pas
fait. Et maintenant Kingsbridge avait perdu l’intelligence et l’énergie de
Jack.
Tout avait
commencé par le désastre de la foire aux toisons. Le prieuré était plus endetté
que jamais. Philip avait congédié la moitié des ouvriers du chantier parce
qu’il n’avait plus d’argent pour les payer. La population de la ville avait
donc diminué, ce qui signifiait que le marché du dimanche avait régressé et que
les revenus provenant des loyers avaient décliné. Kingsbridge était sur la
pente descendante.
Le pire,
c’était le moral des habitants. Bien qu’ils eussent rebâti leurs maisons et
repris quelques activités, ils n’avaient plus confiance dans l’avenir. Les
projets, les constructions, les entreprises, tout cela pouvait être anéanti en
un jour par William Hamleigh, si l’envie le prenait de lancer une nouvelle
attaque.
Philip
résolut de faire quelque chose pour mettre un terme à cette déchéance, quelque
chose de spectaculaire pour annoncer à tous que Kingsbridge était prêt à
lutter.
L’idéal,
ce serait un miracle. Si les os de saint Adolphe guérissaient une princesse de
la peste ou faisaient jaillir de l’eau pure d’un puits croupissant, les gens
afflueraient à Kingsbridge en pèlerinage. Mais depuis des années le saint
n’avait accompli aucun prodige. Philip se demandait parfois si sa façon
pratique et énergique de gouverner le prieuré ne déplaisait pas au saint, car
les miracles semblaient se produire plus fréquemment dans des monastères moins
raisonnables et plus passionnément religieux. Philip avait été éduqué à une
école plus réaliste. Le père Peter, l’abbé de son premier monastère, disait
toujours : « Priez pour demander des miracles, mais plantez aussi des
choux. »
Le symbole
de la vie, de l’énergie de Kingsbridge, c’était la cathédrale. Toute une nuit,
il pria pour qu’un miracle se produise et qu’il la trouve achevée au réveil.
Hélas ! Au matin le chœur n’avait toujours pas de toit et les murs de la
nef n’avaient pas rejoint ceux du transept.
Philip
n’avait pas engagé de nouveau maître bâtisseur, horrifié par le montant des
gages que ceux-ci demandaient. Vraiment, Tom n’était pas cher. En attendant,
Alfred dirigeait sans trop de mal les effectifs réduits du chantier. Il était
devenu plutôt morose depuis son mariage, comme quelqu’un qui aurait durement
triomphé de nombreux rivaux pour devenir roi avant de découvrir que la royauté
est un pesant fardeau. Mais il était autoritaire, savait prendre des décisions
et les autres le respectaient.
Cependant,
Tom avait laissé un vide irrémédiable. Il manquait à Philip personnellement,
pas seulement comme maître bâtisseur. Tom s’intéressait au sens symbolique des
églises et Philip aimait les discussions qu’ils entretenaient sur ce sujet. Il
y avait trop peu de gens comme lui dans la vie du prieur. Malgré sa jeunesse,
Jack avait les mêmes préoccupations. Aliena aussi, mais elle avait sombré dans
son triste mariage. Cuthbert le Chenu devenait vieux maintenant et Milius le
trésorier s’absentait souvent du prieuré, pris par la tournée des élevages,
comptant les arpents, les brebis et les sacs de laine.
« L’hiver
a été doux, dit Alfred un matin peu après Noël. Nous pourrons reprendre le
chantier plus tôt que d’habitude. »
Philip
réfléchit. La voûte serait construite cet été. Quand elle serait terminée, on
pourrait utiliser le chœur et Kingsbridge ne serait plus une ville cathédrale
sans cathédrale. Le chœur était la partie la plus importante d’une
église : là se trouvaient l’autel et les saintes reliques, conservées dans
la partie qu’on appelait le presbytère. La plupart des services y étaient
célébrés. On
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