Les Piliers de la Terre
pas très
régulier dans cette pendaison. Les jeunes garçons étaient terrifiés.
La fille
tourna ses yeux dorés au regard hypnotique vers les trois étrangers, le
chevalier, le moine et le prêtre ; puis elle prononça sa malédiction,
lançant les mots terribles d’une voix claire : « Je vous maudis par
la maladie et le chagrin, par la faim et la douleur ; votre maison sera
consumée par le feu et vos enfants périront sur l’échafaud ; vos ennemis
prospéreront et vous vieillirez dans la tristesse et le regret pour mourir dans
l’horreur et l’angoisse… » Comme elle disait ces derniers mots, la fille
plongea la main dans un sac posé par terre à côté d’elle et en tira un coquelet
vivant. Un couteau surgit dans sa main de nulle part et d’un geste vif elle
trancha la tête du coq. Tandis que le sang jaillissait encore du cou sectionné,
elle lança le coq décapité sur le prêtre aux cheveux noirs. Il ne l’atteignit
pas, mais le sang l’éclaboussa tout comme le moine et le chevalier qui
l’entouraient. Les trois hommes s’écartèrent horrifiés : le sang les avait
tous aspergés, giclant sur leurs visages et tachant leurs vêtements. La fille
tourna les talons et s’enfuit en courant. La foule s’ouvrit et se referma
derrière elle. Pendant quelques instants, ce fut du délire. Le prévôt enfin
attira l’attention de ses hommes d’armes et leur ordonna avec colère de la
poursuivre. Ils fendirent la foule, bousculant sans douceur hommes, femmes et
enfants sur leur chemin, mais en un clin d’œil la fille avait disparu et, bien
que le prévôt la cherchât, il savait qu’il ne la retrouverait pas. Il se
retourna, écœuré. Le chevalier, le moine et le prêtre n’avaient pas suivi la
fuite de la fille. Ils contemplaient toujours la potence. Le prévôt suivit leur
regard. Le voleur mort pendait au bout de la corde, son jeune et pâle visage
bleuissant déjà, tandis que sous son cadavre qui se balançait doucement, le
coq, décapité mais pas tout à fait mort, tournait en zigzaguant sur la neige
tachée de sang.
ELLEN
PREMIÈRE PARTIE
I
Dans une
large vallée, au pied d’une colline en pente douce, Tom bâtissait une maison
auprès d’un torrent.
Les murs
montaient vite : ils avaient déjà trois pieds de haut. Les deux maçons que
Tom avaient engagés travaillaient avec ardeur sous le soleil, étalant le
mortier, puis l’aplatissant avec leur truelle, tandis que leur manœuvre suait
sous le poids des gros blocs de pierres. Alfred, le fils de Tom, préparait le
mortier en comptant tout haut les pelletées de sable. Un charpentier, occupé à
l’établi auprès de Tom, découpait avec soin une longueur de bois de hêtre avec
une herminette.
A quatorze
ans, Alfred était presque aussi grand que Tom : Tom dépassait d’une tête
la plupart des hommes et Alfred, qui n’avait que deux pouces de moins,
continuait à grandir. Ils se ressemblaient aussi : tous deux avaient les
cheveux châtain clair et des yeux verts pailletés de marron. Leur seule
différence, c’était la barbe : brune et bouclée chez Tom, un fin duvet
blond chez Alfred. Jadis, ses cheveux étaient de cette couleur, se rappelait
Tom attendri. Maintenant qu’Alfred devenait un homme, Tom aurait voulu le voir
s’intéresser plus intelligemment à son travail, car il avait beaucoup à
apprendre s’il voulait devenir maçon comme son père ; mais, jusqu’à
maintenant, Alfred restait indifférent à l’art du bâtiment.
La maison,
une fois terminée, serait la plus luxueuse à des lieues à la ronde. Le
rez-de-chaussée serait occupé par un spacieux magasin avec un plafond en voûte
pour éviter les risques d’incendie. La pièce à vivre se situerait au-dessus,
accessible par un escalier extérieur : sa position élevée la rendrait
difficile à attaquer et facile à défendre. Contre le mur de cette salle, Tom
construirait une cheminée pour évacuer la fumée du feu. C’était une
innovation : Tom n’avait encore vu qu’une seule maison avec une cheminée,
mais l’idée lui avait paru si bonne qu’il était décidé à la copier. A un bout
de la maison, au fond de la salle, il prévoyait une petite chambre à coucher,
car c’était ce que les filles de comte exigeaient aujourd’hui, trop raffinées
pour dormir dans la salle commune avec les hommes, les servantes et les chiens
de chasse. La
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