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Les Piliers de la Terre

Les Piliers de la Terre

Titel: Les Piliers de la Terre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ken Follett
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trente-quatre ans, elle avait passé la moitié de ses années à se
battre pour son idéal. Toute ma vie adulte, voilà ce que j’ai donné. Elle avait
bourré de la laine dans des sacs jusqu’à en avoir les mains rouges, gonflées,
écorchées. Elle avait rencontré des êtres cupides, cruels et lubriques qui
l’auraient tuée si elle avait donné le moindre signe de faiblesse. Elle avait
endurci son cœur contre son cher Jack pour épouser Alfred ; des mois
durant, elle avait dormi par terre comme un chien au pied du lit du maçon.
Pourquoi ? parce qu’il avait promis de payer les armes et l’armure qui
permettraient à Richard de se battre et de reprendre ce château. « Voilà,
père », dit-elle tout haut, sans que personne lui prête attention. Il y
avait dans son cœur autant d’amertume que de fierté. « C’est ce que vous
vouliez. Je vous l’avais promis, j’ai tenu ma promesse. J’ai pris soin de
Richard, il s’est battu bravement longtemps et nous voilà de nouveau chez nous.
Richard est comte. Maintenant… » Sa voix s’enfla jusqu’à un cri, mais le
vacarme, la cohue étaient tels que ses paroles s’y perdirent et que personne ne
remarqua les larmes qui ruisselaient sur ses joues. « Maintenant, père,
j’en ai fini avec vous, soyez heureux dans votre tombe et laissez-moi vivre en
paix ! »

VI
    Même dans
le besoin, Remigius gardait son arrogance. Il entra dans le modeste manoir du
village de Hamleigh, la tête haute, avec un regard méprisant pour les grosses
poutres sommairement taillées qui soutenaient le toit, les murs de claies et de
torchis et l’âtre sans cheminée au milieu du sol en terre battue.
    William
l’accueillit sans un mot. Ma chance a peut-être tourné, mais pas autant que la
tienne, songea-t-il en observant les sandales rapetassées du moine, sa robe
crasseuse, son menton mal rasé et ses cheveux trop longs. Remigius n’avait
jamais été gras, mais aujourd’hui les os lui trouaient la peau. L’expression
hautaine de son visage ne dissimulait pas les traits creusés ni les cernes
violacés sous ses yeux. Remigius n’était pas encore brisé, mais il était
gravement atteint.
    « Dieu
vous bénisse, mon fils », dit-il à William.
    William se
moquait bien des bénédictions. « Que voulez-vous, Remigius ? »
répliqua-t-il, choisissant délibérément d’insulter le moine en n’utilisant pas
le titre de « père » ou de « frère ».
    Remigius
pinça les lèvres. Il n’avait pas dû subir beaucoup d’humiliations de ce genre
depuis sa venue au monde, se dit William. Glacial, le moine reprit :
« Les terres que vous m’avez données comme doyen du chapitre de Shiring
ont été reprises par le comte Richard.
    — Je
n’en suis pas étonné, répondit William. Tout revient à ceux qui en étaient
propriétaires au temps du vieux roi Henry.
    — Cela
me laisse sans moyen de subsistance.
    — Vous
et bien d’autres, observa sèchement William. Retournez donc à
Kingsbridge. »
    Remigius
pâlit de colère. « Impossible, murmura-t-il d’une voix sourde.
    — Pourquoi ?
    — Vous
le savez bien.
    — Philip
vous reprocherait-il de tirer les vers du nez aux petites filles ? Vous accuserait-il
de l’avoir trahi en me révélant la cachette des hors-la-loi ? Vous
blâmerait-il d’être devenu le doyen d’une église qui devait remplacer sa propre
cathédrale ? En effet, je comprends que vous ne puissiez pas retourner
là-bas.
    — Donnez-moi
quelque chose, supplia Remigius, toute honte bue. Un village. Une ferme. Une
petite église !
    — On
ne récompense pas les perdants, moine, répliqua cruellement William, qui
savourait la situation. Dans le monde où nous vivons, il n’y a pas de pitié.
Les canards avalent les vers, les renards tuent les canards, les hommes
abattent les renards et le diable poursuit les hommes. »
    La voix de
Remigius n’était plus qu’un murmure. « Que vais-je faire ?
    — Mendier »,
répliqua William en souriant.
    Remigius,
le dos raide, sortit. Toujours fier, se dit William, mais pas pour longtemps.
Tu mendieras, moine !
    Il
trouvait une grande satisfaction à voir quelqu’un tombé plus bas que lui.
Jamais il n’oublierait l’intolérable supplice qu’il avait subi lorsqu’on lui
avait refusé l’entrée de son propre château. Déjà plein de soupçons en
apprenant que Richard et quelques-uns de ses hommes avaient quitté Winchester,
il avait éprouvé une véritable

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