Les Piliers de la Terre
Elle était trop connue dans le
pays pour que, tôt ou tard, quelqu’un ne l’identifie pas. En fait plusieurs
personnes la dévisagèrent avec curiosité mais aucune ne lui adressa la parole.
Les deux
jeunes femmes s’avancèrent au milieu de la cour. Comme le terrain était un peu
en pente. Aliena voyait, par-dessus les têtes et au-delà de la porte d’entrée,
les champs au loin. L’avant-garde aurait dû se mettre en route, mais elle n’en
distinguait aucun signe. Oh ! mon Dieu, se dit-elle avec un frisson glacé,
pourvu qu’il n’y ait pas de problème !
Il fallait
qu’Elizabeth grimpe sur quelque chose pour s’adresser à ses gens. Aliena
commanda à un serviteur d’aller chercher un escabeau à l’écurie. Pendant qu’on
attendait son retour, une femme d’un certain âge examinait Aliena. Soudain elle
dit bien haut : « Tiens, mais c’est dame Aliena ! Comme je suis
contente de vous voir ! »
Le cœur
d’Aliena s’arrêta de battre. La femme était une cuisinière qui avait travaillé
au château avant l’arrivée des Hamleigh. Elle se força à sourire et
répondit : « Bonjour, Tilly, comment te portes-tu ?
— Hé !
dit Tilly en donnant un coup de coude à sa voisine, c’est lady Aliena qui
revient après toutes ces années. Vous allez être notre maîtresse, madame ? »
Si Michaël
Armstrong entendait ces paroles, c’était la fin de tout. Aliena jeta autour
d’elle un regard inquiet. Par bonheur, Michaël n’était pas dans les parages.
Toutefois, un de ses hommes d’armes qui avait entendu la conversation
contemplait Aliena avec perplexité. Aliena feignait l’indifférence. L’homme
était borgne – c’était sans doute pourquoi il était dispensé de combattre avec
William – et Aliena trouva drôle d’être examinée avec tant d’insistance par un
seul œil. Le fou rire la gagna et elle se rendit compte qu’elle était au bord
de la crise de nerfs.
Le
serviteur revenait avec l’escabeau. La cloche cessa de sonner et Aliena reprit
son calme tandis qu’Elizabeth montait sur le tabouret. Le silence se fit dans
l’assemblée.
« Le
roi Stephen, annonça Elizabeth, et le duc Henry ont fait la paix. »
Les
acclamations jaillirent de toute part. Aliena scrutait l’horizon au-delà de la
porte. Maintenant, Richard, supplia-t-elle ; c’est le moment ou jamais, ne
te mets pas en retard !
Elizabeth
sourit et laissa les gens exprimer longuement leur joie, puis elle
continua : « Stephen demeurera roi jusqu’à sa mort, ensuite Henry lui
succédera. »
Aliena
observa les sentinelles restées sur les tours et aux postes de guet. Elles
paraissaient calmes. Où était donc Richard ?
« Le
traité de paix, commenta Elizabeth, va apporter de nombreux changements dans
nos existences. »
Aliena vit
les gardes des remparts se raidir. L’un d’eux mit sa main en visière pour
inspecter les champs, tandis qu’un autre se retournait vers la cour, comme s’il
cherchait l’appui du capitaine. Mais toute l’attention de Michaël Armstrong
était captée par Elizabeth.
« Le
roi actuel et le futur roi sont convenus que les terres seront rendues à ceux
qui les possédaient au temps du vieux roi Henry. »
Un
brouhaha de commentaires accueillit ces paroles : on se demandait si ces
bouleversements affecteraient le comté de Shiring et chacun donnait son avis.
Michaël Armstrong semblait pensif. Enfin, les chevaux de l’avant-garde de
Richard passèrent le poste de garde. Vite, se dit-elle, vite ! Mais ils
allaient au petit trot pour ne pas alarmer les sentinelles.
« Nous
devons rendre grâces à Dieu, poursuivait Elizabeth, de ce traité de paix.
Prions pour que le roi Stephen règne sagement dans ses dernières années et que
le jeune duc maintienne le royaume en paix jusqu’à ce que Dieu ait rappelé
Stephen à lui… » Elle s’en tirait brillamment, mais son discours ne
pourrait pas durer éternellement et, d’ailleurs, elle commençait à se troubler.
Les gardes
à qui on avait annoncé l’arrivée de messagers et qui devaient amener aussitôt
le chef à la comtesse surveillaient l’approche des cavaliers avec calme, mais
non sans curiosité.
Le borgne
promenait le regard de son œil unique d’Aliena au poste de garde et la jeune
femme devina qu’il réfléchissait à la signification de cette coïncidence.
Soudain,
l’une des sentinelles quitta le créneau et disparut dans un escalier.
La foule
commençait à s’agiter.
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