Les Piliers de la Terre
être
enceinte, quelque part dans les parages ?
— Attends
un peu, fit Jack, intrigué. Veux-tu me dire qu’on t’a trouvé près de
Saint-John-de-la-Forêt ?
— Oui…
Tu ne le savais pas ? »
Jack eut
l’impression d’être frappé par la foudre. « Non, je l’ignorais »,
dit-il lentement. Les conséquences de cette révélation lui donnaient le
vertige. « Quand nous sommes arrivés à Kingsbridge, tu étais déjà ici, et
j’ai tout naturellement supposé qu’on t’avait trouvé dans le voisinage.
— As-tu
vu quelqu’un dans la forêt ?
— Mais
oui, murmura Jack. Je ne sais pas comment te dire ça, Jonathan. »
Le jeune
moine pâlit. « Tu sais quelque chose, n’est-ce pas ? Quoi ?
Qu’as-tu vu ?
— Je
t’ai vu, toi, Jonathan, voilà ce que j’ai vu. »
Jonathan
en resta bouche bée. « Quoi… Comment ?
— C’était
l’aube. J’étais parti chasser le canard. J’ai entendu un cri. J’ai trouvé un
nouveau-né, enveloppé dans le pan d’un vieux manteau, couché auprès des braises
d’un feu mourant. »
Jonathan
était suspendu à ses lèvres. « Rien d’autre ? »
Jack hocha
lentement la tête. « Si. Le bébé était couché sur une tombe fraîchement
creusée. »
Jonathan
avait la gorge serrée. « Ma mère ? »
Jack
acquiesça.
Jonathan,
les larmes aux yeux, ne lâchait pas prise. « Qu’as-tu fait ?
— Je
suis allé chercher ma mère. Mais, comme nous retournions à l’endroit où j’avais
vu le bébé, nous avons vu un prêtre, monté sur un palefroi, avec le nouveau-né
dans ses bras.
— Francis !
fit Jonathan d’une voix étranglée.
— Quoi ? »
Il avait
du mal à parler, mais il expliqua : « J’ai été trouvé par le frère de
père Philip, Francis, le prêtre.
— Que
faisait-il là-bas ?
— Il
était en route pour rendre visite à Philip à Saint-John-de-la-Forêt. C’est là
qu’il m’a emmené.
— Mon
Dieu ! »
Jack
regarda le grand moine dont les joues ruisselaient de larmes. Tu n’as pas
encore tout entendu, Jonathan, se dit-il.
« Tu
n’aurais vu personne, insista Jonathan, qui aurait pu être mon père ?
— Si,
déclara gravement Jack. Je sais qui était ton père.
— Dis-le-moi !
murmura Jonathan.
— Tom
le bâtisseur.
— Tom
le bâtisseur ? balbutia Jonathan, qui tomba assis par terre. Tom le
bâtisseur était mon père ?
— Oui,
affirma Jack en hochant la tête. Je sais maintenant qui tu me rappelles. Toi et
lui vous êtes les gens les plus grands que j’aie jamais rencontrés.
— Il
s’est montré si bon avec moi quand j’étais enfant, poursuivit Jonathan d’un ton
rêveur. Il jouait avec moi. Il m’aimait beaucoup. Je le voyais autant que le
prieur Philip. » Ses larmes coulèrent à flots. « C’était mon père.
Mon père. » Il leva les yeux vers Jack. « Pourquoi m’a-t-il
abandonné ?
— Il
te croyait de toute façon condamné à mourir. Il n’avait pas de lait à te
donner. Lui et ses enfants mouraient de faim. Ils ne savaient pas que le
prieuré était tout proche. Ils n’avaient rien à manger que des navets. Des
navets t’auraient tué.
— Alors,
ils m’aimaient quand même, malgré tout. »
Jack
revoyait la scène comme si c’était hier : le feu mourant, la terre
fraîchement retournée de la tombe, et le minuscule bébé rose remuant dans les
plis du vieux manteau gris. Ce petit bout d’humanité était devenu ce géant qui
pleurait, assis par terre devant lui. « Oh oui ! ils t’aimaient.
— Comment
se fait-il que personne ne m’en ait jamais parlé ?
— Tom
avait honte, bien sûr, expliqua Jack. C’était un sujet qu’il n’abordait jamais.
Nous n’avons jamais fait clairement le rapprochement entre ce bébé et toi.
— Mais
Tom, si, dit Jonathan.
— Oui.
— Je
me demande pourquoi il ne m’a jamais repris ?
— Ma
mère l’a quitté très peu après notre arrivée ici », expliqua Jack. Il eut
un sourire mélancolique. « Comme Sally, elle n’avait pas un caractère
facile. Tom aurait dû engager une nourrice pour s’occuper de toi. Alors il a
préféré laisser son petit enfant aux soins du monastère. On s’est bien occupé
de toi, là-bas.
— Grâce
à ce vieux Johnny Huit Pence. Que Dieu donne le repos à son âme !
— Ce
qui a permis à Tom de passer beaucoup de temps avec toi. Toute la journée, tu
courais dans l’enclos du prieuré où il travaillait. S’il
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