Les Piliers de la Terre
allés à Saint-John-de-la-Forêt après la grande
famine, que Peter se trouvait à présent à Canterbury. Quand je pense qu’il va
me juger ! »
Ils
étaient dans le cloître. Le temps étant doux, une cinquantaine de garçons de
trois classes différentes apprenaient à lire et à écrire dans l’allée. Le
murmure assourdi de leur leçon flottait dans l’air. Philip se rappelait
l’époque où l’école ne comprenait que cinq élèves et un maître des novices
sénile. Il pensait à tout ce qu’il avait réalisé : la construction de la
cathédrale ; la transformation du prieuré quasiment à ladérive en
une institution riche, active et influente ; le développement de la ville
de Kingsbridge. D’où il était, il voyait les beaux vitraux chatoyants du
triforium. Derrière lui, au fond, une bibliothèque en pierre contenait des
centaines de livres de théologie, d’astronomie, de morale, de mathématiques.
Les terres du prieuré, intelligemment gérées, nourrissaient non seulement les
moines, mais des centaines de travailleurs agricoles. Allait-on lui retirer
tout cela à cause d’un mensonge ? Dieu m’a aidé à accomplir mon œuvre,
songea-t-il ; je ne peux croire qu’il veuille la rejeter au néant.
« Tout
de même, dit Jonathan, l’archidiacre Peter ne peut pas vous juger coupable.
— Je
pense qu’il y arrivera, répondit Philip avec accablement.
— En
toute conscience, comment le peut-il ?
— Je
crois que toute sa vie, il m’en a voulu. Il a une chance de prouver que c’était
moi le pécheur et lui le vertueux. Waleran, je ne sais comment, l’a découvert
et s’est assuré que Peter serait nommé pour juger cette affaire.
— Mais
il n’y pas de preuves.
— Il
n’a pas besoin de preuves. Il va entendre l’accusation et la défense ;
puis il priera le ciel de le guider et annoncera son verdict.
— Dieu
le guidera peut-être sur le bon chemin.
— Peter
n’écoutera pas Dieu. Il n’a jamais été très fort pour écouter quiconque.
— Que
va-t-il arriver en cas de culpabilité ?
— On
va me déposer, reprit Philip d’un ton sombre. Peut-être me laissera-t-on vivre
ici comme un moine ordinaire pour expier mes péchés, mais c’est peu probable.
Selon toute probabilité, on me chassera de l’ordre pour m’empêcher de continuer
à avoir la moindre influence ici.
— Mais
que se passerait-il ensuite ?
— Il
y aura une élection, bien sûr. Hélas, la politique royale intervient maintenant
dans le tableau. Le roi Henry est en désaccord avec Thomas Becket, l’archevêque
de Canterbury, c’est pourquoi l’archevêque Thomas est exilé en France. La
moitié de ses archidiacres est avec lui. L’autre moitié, ceux qui sont restés,
ont rallié le camp du roi contre leur archevêque. Peter, de toute évidence,
appartient à cette faction-là. L’évêque Waleran aussi a pris le parti du roi.
Il recommandera un prieur, appuyé par les archidiacres de Canterbury et par le
roi. Ce sera difficile pour les moines d’ici de s’opposer à lui.
— Qui,
à votre avis, serait le nouveau prieur ?
— Sois
en sûr, Waleran pense à quelqu’un. Ce pourrait être l’archidiacre Baldwin. Ou
même Peter de Wareham.
— Mais
il faut absolument faire quelque chose pour empêcher cela ! »
s’exclama Jonathan.
Philip
hocha la tête. « Tout est contre nous. Il n’y a rien que nous puissions
faire pour modifier la situation politique. La seule possibilité…
— C’est
laquelle ? » interrogea Jonathan avec impatience.
Le cas
semblait si désespéré que Philip ne voulait pas bercer de faux espoirs un
Jonathan déjà trop souvent porté à l’optimisme et qui n’en serait que plus déçu
ensuite. « Rien, reprit Philip.
— Qu’alliez-vous
dire ? »
Philip
réfléchissait. « S’il y avait une façon de prouver mon innocence sans le
moindre doute. Peter ne me déclarerait pas coupable.
— Évidemment.
Mais quelle preuve… ?
— Justement.
On ne peut pas prouver ce qui n’existe pas. Il nous faudrait découvrir ton vrai
père. »
Jonathan
aussitôt s’enthousiasma. « Mais oui ! C’est ça ! Voilà ce que
nous allons faire !
— Doucement,
poursuivit Philip. J’ai déjà essayé en vain, à l’époque. Ce ne sera
probablement pas plus facile des années après. »
Jonathan
refusait de se laisser décourager. « Il n’y avait donc aucun indice sur
mes origines ?
— Aucun,
j’en ai peur. » Philip
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