Les Piliers de la Terre
âge, murmura-t-il. Ça te fait combien, aujourd’hui… soixante-huit
ans ?
— Soixante-deux,
et ne cherche pas à me provoquer, riposta-t-elle. Je suis en meilleure forme
que toi, mon garçon. »
C’était
bien possible, songea Jack. Elle avait les cheveux blancs comme neige et un
visage profondément ridé, mais ses stupéfiants yeux dorés voyaient aussi bien
qu’avant. En accueillant Jonathan, elle avait tout de suite compris qui il
était et elle avait dit : « Allons, je n’ai pas besoin de te demander
pourquoi tu es ici. Tu as découvert d’où tu viens, n’est-ce pas ? Par
Dieu, tu es aussi grand que ton père et presque aussi large d’épaules. »
Elle n’avait rien perdu de son indépendance.
« Sally
te ressemble, dit Jack.
— Ah
oui ? fit-elle en souriant. En quoi donc ?
— Elle
est têtue comme une mule.
— Ah !
répliqua Ellen, furieuse. Alors, elle se débrouillera très bien dans la
vie. »
Jack se
résigna à la supplier. « Mère, je t’en prie… Viens à Kingsbridge avec nous
faire éclater la vérité.
— Je
ne sais pas, murmura-t-elle.
— J’ai
autre chose à vous demander », intervint Jonathan.
Jack
ignorait ce que voulait Jonathan. Pourvu qu’il ne la heurte pas ! Il
retint son souffle.
« Pourriez-vous
me montrer, demanda Jonathan, où ma mère est enterrée ? »
Jack
poussa un soupir de soulagement.
Elle
renonça aussitôt à sa mauvaise humeur. « Bien sûr que je te montrerai,
dit-elle. Je suis sûre de pouvoir retrouver l’endroit. »
Jack était
contrarié de perdre du temps en recherches. Le procès allait commencer le
lendemain matin et ils avaient un long trajet à faire. Mais il sentit qu’il
devait laisser le destin suivre son cours.
« Tu
veux y aller maintenant ? demanda Ellen.
— Oui,
s’il vous plaît, si c’est possible.
— Très
bien. » Elle se leva, prit une cape en peau de lapin et la jeta sur ses
épaules.
Ils
quittèrent la grotte avec ses odeurs de pommes et de fumée de bois, et se
frayèrent un chemin à travers les buissons qui en dissimulaient l’entrée, pour
déboucher dans le soleil du printemps. Ellen avançait sans hésiter. Jack et
Jonathan détachèrent leurs chevaux et lui emboîtèrent le pas. Ils devaient
mener leurs montures par la bride, car le terrain était trop broussailleux pour
chevaucher. Jack remarqua que sa mère marchait d’un pas plus lent qu’autrefois.
Elle se portait moins bien qu’elle ne le prétendait.
Jack
n’aurait pas pu retrouver l’endroit tout seul. Il y avait une époque où il
circulait dans la forêt aussi facilement qu’aujourd’hui à Kingsbridge. Mais
pour lui aujourd’hui, une clairière ressemblait à une autre, tout comme les
maisons de Kingsbridge paraissaient identiques aux yeux d’un étranger. Sa mère
suivit un réseau de pistes tracées par les animaux dans les épais sous-bois. De
temps en temps, Jack retrouvait des réflexes d’enfance et, un instant, il
savait où il était, puis de nouveau il perdait ses repères.
Ils
parcoururent ainsi plusieurs lieues. Jack transpirait, mais sa mère demeurait
drapée dans sa cape en peau de lapin. Vers le milieu de l’après-midi, elle fit
halte dans une clairière ombragée. Jack remarqua qu’elle avait le souffle court
et le visage un peu gris. Il était vraiment temps pour elle de quitter la forêt
pour venir habiter avec Aliena et lui. Il résolut de l’en persuader.
« Ça
va bien ? demanda-t-il.
— Bien
sûr ! lança-t-elle. Nous y sommes. »
Jack
regarda autour de lui. Il ne reconnaissait pas les lieux.
« C’est
ici ? répéta Jonathan.
— Oui.
— Où
est la route ? demanda Jack.
— Par
là. »
Quand Jack
se fut orienté, la clairière commença à lui paraître familière et le passé lui
revint d’un seul coup. Le grand châtaignier était toujours là, plein de fleurs
dont les pétales s’égaillaient sous la brise.
« Martha
m’a raconté ce qui s’était passé, reprit Jack. Ils se sont arrêtés parce que ta
mère ne pouvait pas aller plus loin. Tom a allumé du feu et a fait cuire des
navets pour souper : il n’y avait pas de viande. Ta mère t’a mis au monde
ici, à même le sol. Tu étais en parfaite santé, mais il lui est arrivé quelque
chose, et elle est morte. » On distinguait une légère élévation, à
quelques pieds de la base de l’arbre. « Regarde, dit Jack. Tu vois ce
monticule ? »
Jonathan
hocha la tête, le visage
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