Les Piliers de la Terre
dit-il, ne nous querellons pas pour si peu… »
Le visage
de Francis s’adoucit. « Non, bien sûr que non. Mais cette dispute entre le
roi et l’archevêque est la plaie de mon existence depuis maintenant six ans. Je
n’ai pas le même détachement que toi à ce propos. »
Philip
acquiesça. « Pourquoi Henry refuse-t-il d’accepter le plan de paix du
pape ?
— Il
le fera, affirma Francis. Nous sommes à un doigt de la réconciliation. Mais
Thomas veut davantage. Il tient absolument au baiser de paix.
— Si
le roi est sincère, pourquoi refuse-t-il de donner le baiser de paix comme gage
de sa bonne foi ? »
Francis
haussa le ton. « Ce n’est pas dans le plan !
— Et
alors ? a-t-il besoin d’un plan ? insista Philip.
— Il
le ferait volontiers, expliqua Francis avec un soupir. Mais un jour il a prêté
serment, en public, de ne jamais donner à Thomas le baiser de paix.
— Bien
des rois ne tiennent pas leurs serments, fit remarquer Philip.
— Des
rois faibles. Henry ne reviendra pas sur une promesse faite en public. C’est ce
genre de détails qui le distingue d’un souverain comme Stephen.
— Alors
l’Église de son côté ne devrait pas s’obstiner, observa Philip, résigné.
— Mais
pourquoi Thomas insiste-t-il tant sur le baiser ? questionna Francis avec
agacement.
— Parce
qu’il n’a pas confiance. Qu’est-ce qui empêcherait le roi de revenir sur leur
accord ? En supposant qu’il le dénonce, quel moyen Thomas a-t-il de
répliquer ? Il n’aurait plus qu’à repartir en exil. Ses partisans les plus
résolus commencent à se lasser. Thomas ne peut pas prendre un tel risque. Avant
de céder, il lui faut des garanties de fer. »
Francis
secoua la tête avec tristesse. « C’est devenu une question d’orgueil,
murmura-t-il. Je sais que Henry n’a pas l’intention de tromper Thomas. Mais on
n’arrivera pas à lui forcer la main. Il a horreur de se sentir obligé à quoi
que ce soit.
— Même
chose pour Thomas, à mon avis, dit Philip. Il a demandé ce gage et il ne peut
plus reculer maintenant. » Il soupira avec lassitude. Il avait espéré que
Francis suggérerait un moyen de rapprocher les deux hommes, mais la tâche
semblait impossible.
« L’ironie,
c’est que Henry donnerait volontiers le baiser de paix à Thomas après la
réconciliation, ajouta Francis. Il refuse simplement qu’on le lui impose comme
condition préalable.
— L’a-t-il
dit formellement ?
— Oui.
— Mais
ça change tout ! s’exclama Philip. Quelles sont ses déclarations
exactes ?
— Il
a dit : « Je baiserai sa bouche, je baiserai ses pieds et
j’assisterai à sa messe – après son retour. » Je l’ai entendu moi-même.
— Je
vais rapporter ces mots à Thomas.
— Crois-tu
qu’il pourrait céder ? demanda anxieusement Francis.
— Je
ne sais pas, mais c’est une si petite concession ! Il obtiendra son baiser
juste un peu plus tard qu’il ne le demandait.
— Pour
Henry, c’est une concession très minime aussi, reprit Francis avec un
enthousiasme croissant. Il lui donne le baiser, volontairement et non sous la
contrainte. Par Dieu, ça pourrait marcher !
— Ils
se réconcilieraient à Canterbury. On annoncerait à l’avance le contenu de
l’accord de façon qu’aucun des deux ne puisse rien y changer à la dernière
minute. Thomas dirait la messe et Henry lui donnerait le baiser, là, dans la
cathédrale. » Dès lors, poursuivit-il intérieurement, Thomas pourra faire
échec aux plans maléfiques de Waleran.
« Je
vais faire cette proposition au roi, déclara Francis.
— Et
moi à Thomas. »
La cloche
du monastère retentit. Les deux frères se levèrent.
« Sois
persuasif, conseilla Philip. Si nous aboutissons, Thomas rentrera à Canterbury.
Et, si Thomas rentre, c’en est fini de Waleran Bigod. »
Ils se
rencontrèrent dans une jolie prairie, au bord d’une rivière séparant la
Normandie du royaume de France, près des villes de Fréteval et de
Viévy-le-Raye. Le roi Henry était déjà là avec son entourage, quand Thomas
arriva, accompagné de l’archevêque Guillaume de Sens. Philip, qui faisait
partie de l’escorte de Thomas, aperçut son frère Francis auprès du roi, à
l’autre bout du champ.
Henry et
Thomas étaient parvenus à un accord théorique. Tous deux avaient accepté le
compromis selon lequel le baiser de paix serait échangé lors d’une messe de
réconciliation après le
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