Les Piliers de la Terre
houle
d’approbations lui répondit.
Il sut
exactement ce qu’il devait faire. « Commençons aussitôt notre
croisade ! proclama-t-il.
— Apportez
des cierges et suivez-moi ! »
Brandissant
l’épée, il s’avança au milieu de la cathédrale.
Ils lui
emboîtèrent le pas.
Exultant,
il traversa le chœur, la croisée et descendit la nef. Des moines et des prêtres
l’escortaient. Il n’avait pas besoin de se retourner : il entendait les
pas de la foule derrière lui. Il sortit par la grande porte.
Là, il y
eut un moment d’angoisse. Par-delà le verger plongé dans l’ombre, il aperçut
des hommes d’armes occupés à piller le palais de l’archevêque. La croisade
risquait de dégénérer en bagarre alors qu’elle avait à peine commencé. Il
tourna brusquement et entraîna la foule dans la rue par la porte la plus proche.
L’un des
moines attaqua un hymne. Derrière les volets des maisons, on voyait la lumière
des lampes et la lueur des feux ; sur le passage de la procession, les
gens ouvraient leurs portes. Les uns interrogeaient les marcheurs, les autres
rejoignaient leurs rangs.
Au coin
d’une rue, Philip vit William Hamleigh, debout devant une écurie, qui venait
semblait-il d’ôter sa cotte de mailles et s’apprêtait à remonter à cheval pour
quitter la ville. Il avait avec lui une poignée d’hommes, qui, ayant entendu les
cantiques, se demandaient ce qui se passait.
Tandis que
la procession approchait à la lueur des cierges. William leva un regard
intrigué. Puis il vit dans la main de Philip l’épée brisée et il commença à
comprendre. Il dévisagea le prieur un moment encore dans un silence pétrifié,
puis il hurla. « Arrêtez ! Je vous ordonne de vous
disperser ! »
Personne
ne prit garde à lui. Ses compagnons manifestaient une inquiétude croissante.
Même avec leurs épées, ils étaient vulnérables devant une cohue de plus de cent
fidèles déterminés.
William
s’adressa directement à Philip. « Au nom du roi, je vous ordonne d’arrêter
ceci ! »
Philip
passa devant lui sans ralentir, entraîné par la pression de la foule.
« Trop tard, William ! lança-t-il par-dessus son épaule. Trop tard ! »
IV
Les jeunes
garçons arrivèrent de bonne heure pour la pendaison.
Ils
étaient déjà là, sur la place du marché de Shiring, lançant des pierres aux
chats, injuriant les mendiants et se battant entre eux lorsque Aliena apparut,
seule et à pied, enveloppée d’un méchant manteau dont le capuchon rabattu
cachait son identité.
Elle
s’arrêta, regarda l’échafaud. Tout d’abord elle n’avait pas eu l’intention de
venir. Elle avait assisté à trop de pendaisons durant les années où elle avait
assumé le rôle de comte. Maintenant qu’elle n’avait plus cette responsabilité,
elle croyait qu’elle n’aurait plus jamais envie de voir ce supplice. Mais
celui-là, c’était différent.
Elle
n’était plus le comte, car Richard avait été tué en Syrie – par une ironie du
sort, non pas au combat mais dans un tremblement de terre. La nouvelle avait
mis six mois à lui parvenir. Elle n’avait pas revu son frère depuis quinze ans
et ne le reverrait jamais.
Au sommet
de la colline, les portes du château s’ouvrirent. Le prisonnier sortit, suivi
de son escorte et du nouveau comte de Shiring, le fils d’Aliena : Tommy.
Richard était mort sans descendance, laissant son neveu pour seul héritier. Le
roi, frappé et affaibli par le scandale du meurtre de Becket, avait rapidement
confirmé Tommy dans son titre. Aliena avait volontiers passé le relais à la
jeune génération. Elle était parvenue à ce qu’elle voulait. Le comté était à
nouveau un domaine riche et prospère, une terre de moutons bien gras, de champs
verdoyants et de robustes moulins. Certains propriétaires, amateurs de progrès,
avaient suivi son exemple en utilisant le cheval pour labourer, des bêtes
nourries avec l’avoine qui poussait suivant le système de rotation des
cultures. Le domaine pouvait donc nourrir encore plus de gens que sous le règne
éclairé de son père.
Tommy
ferait un bon comte. Il était né pour cela. Jack avait longtemps refusé de
l’admettre, voulant faire de son fils un bâtisseur, mais il avait fini par
reconnaître la vérité. Tommy, qui n’avait jamais été capable de tailler droit
une pierre, était en revanche un chef-né et, à vingt-huit ans, il était décidé,
déterminé, intelligent et juste.
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