Les Piliers de la Terre
être pardonnables, se dit
Philip, s’il avait un jour des hôtes à recevoir. Il y avait le chambellan, qui
obligeait les moines à changer de robe et à se raser pour Noël et pour la
Pentecôte (un bain à cette occasion était recommandé, mais non obligatoire).
Adossé au mur du fond, se trouvait le doyen, un vieil homme frêle, pensif et
imperturbable dont les cheveux étaient encore gris plutôt que blancs ; il
parlait rarement mais jamais pour ne rien dire ; il aurait dû être prieur sans
doute s’il n’avait pas été si effacé. Frère Simon, avec son regard furtif et
ses mains nerveuses, avait confessé si souvent des péchés d’impureté que (comme
Milius l’avait chuchoté à Philip) sans doute aimait-il la confession encore
plus que le péché. Il y avait William Beauvis, qui se tenait fort bien ;
frère Paul, qui ne boitait presque pas ; Cuthbert le Chenu, l’air sûr de
lui ; John Small, le petit trésorier ; et Pierre, le prévôt, celui
qui avait privé Philip de son dîner la veille. Bientôt Philip se rendit compte
que tous les regards étaient tournés vers lui et il baissa les yeux,
embarrassé.
Remigius
arriva avec Andrew, le sacristain, et ils s’assirent auprès de John Small et de
Pierre. Voilà, se dit Philip, la faction réunie.
Le
chapitre commença par la lecture d’un texte sur Siméon le styliste, le saint du
jour. C’était un ermite qui avait passé presque toute sa vie juché sur une
colonne et, si l’on ne pouvait mettre en doute son don de renoncement, Philip
avait toujours nourri en secret des doutes sur la vraie valeur de son
témoignage. Les fidèles accouraient en foule, mais venaient-ils pour
l’exaltation spirituelle ou pour regarder un phénomène ?
Après les
prières, on lut un chapitre du livre de saint Benoît. C’était ce chapitre qui
donnait son nom à la réunion ainsi qu’au petit bâtiment dans lequel elle avait
lieu. Comme Remigius se levait pour lire dans le livre ouvert devant lui,
Philip observa attentivement son profil, pour la première fois avec les yeux
d’un rival. Remigius avait des façons vives et efficaces qui lui donnaient un
air de compétence en total désaccord avec sa vraie nature. Une observation plus
poussée révélait des indices sur ce que dissimulait la façade : ses yeux
bleus un peu proéminents se déplaçaient avec une rapidité inquiète, sa bouche
un peu molle hésitait avant de parler et il serrait et desserrait sans cesse
les mains tandis que le reste de son corps était immobile. Il tirait son
autorité de son arrogance, de son irritation permanente et de cette façon qu’il
avait d’écarter avec dédain les subordonnés.
Philip se
demanda pourquoi il avait choisi de lire le chapitre lui-même, mais il en
comprit vite la raison. « Le premier degré d’humilité et la prompte
obéissance » lut Remigius. Il avait choisi le chapitre cinq, sur l’obéissance,
afin de rappeler à tous la supériorité de sa position et leur rôle de
subordonnés. Tactique évidemment destinée à les intimider. Remigius était
d’abord un homme rusé. « Ils ne vivent pas comme eux-mêmes le souhaitent,
pas plus qu’ils se plient à leurs propres désirs ni à leurs envies de
plaisir ; mais, suivant les ordres et les directives d’un autre, en se
montrant obéissant dans leurs monastères, leur volonté est d’être régi par un
abbé, lut-il. Sans doute ceux-là mettent-ils en œuvre la parole de
Nôtre-Seigneur, je ne suis pas venu pour accomplir ma volonté, mais la volonté
de Celui Qui m’a envoyé. » Remigius venait de tracer les lignes de
bataille de manière prévue : dans cet affrontement, c’était lui qui
représenterait l’autorité établie.
Cette
lecture fut suivie par la nécrologie et ce jour-là, naturellement, toutes les
prières furent destinées à l’âme du prieur James. On garda pour la fin la
partie la plus animée du chapitre : la discussion des affaires courantes,
la confession des fautes et les accusations d’inconduite.
Remigius
prit la parole : « Il y a eu des désordres pendant la grand-messe
d’hier. »
Philip se
sentit presque soulagé. Il savait maintenant comment on allait l’attaquer. Il
était prêt à se défendre.
Remigius
poursuivit : « Je n’étais pas présent moi-même retenu dans la maison
du prieur à régler des affaires mais le sacristain m’a rapporté les
faits. »
Cuthbert
le Chenu l’interrompit : « Ne vous faites pas reproches,
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