Les Poilus (La France sacrifiée)
peuple ». Fait prisonnier par les Anglais, le dernier général en chef de Hitler, le vaincu de la bataille des Ardennes, fut interné en 1945 et libéré par les Britanniques dès 1949.
On considérait donc, à l’évidence, que les militaires allemands de haut rang qui avaient obéi, même en Russie, aux ordres du régime nazi n’étaient que les continuateurs d’une guerre nationale, engagée jadis par le Kaiser, et qu’ils ne servaient pas Hitler, même s’ils lui devaient leur carrière, même s’ils l’avaient aidé puissamment de tout leur pouvoir et de leur compétence, mais bien la patrie allemande, celle de Hindenburg et de Ludendorff.
Ce n’est sans doute pas seulement pour sa participation au complot de juillet que Rommel fut absous, mais aussi peut-être parce qu’il avait été l’adversaire malheureux, pourtant pugnace et loyal, de Montgomery dans la moderne expédition d’Égypte. Il avait, par l’éclat de sa propre campagne, grandi son adversaire et rétabli l ’Union Jack dans toute sa gloire au Caire. Cela seul méritait des égards.
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Le ralliement de la Reichswehr à Hitler était l’événement décisif qui rétablissait le fil de l’histoire coupé par les accords de Locamo, l’entrée de l’Allemagne à la SDN, grâce au « pacifisme » de Stresemann, alors condamné par les nazis. Réduite à cent mille volontaires par le traité de Versailles, la Reichswehr avait été prise en main par von Seeckt et orientée délibérément dans une direction nouvelle, celle de la primauté de la technique et de la mobilité.
Son rôle politique, après l’armistice, n’était pas négligeable. Elle avait été utilisée par le social-démocrate Noske, auteur de la loi du 6 mars 1919 qui créait la Reichswehr. Elle avait permis de liquider les spartakistes à Berlin, pendant que les corps francs guerroyaient à l’est contre les bolchevistes. Von Seeckt, qui avait été placé par les socialistes à la tête de l’armée, était le général qui s’était emparé de Riga en mai 1919 après une brillante manœuvre.
L’intervention de Wilson dans la négociation d’armistice avait eu pour conséquence l’absolution inattendue du personnel militaire et de l’empereur par l’opinion allemande. Le président américain, lors des négociations de l’armistice, exigeait leur départ, avant de signer. Ludendorff avait démissionné, Guillaume II était parti en exil. Ils n’étaient donc en rien considérés par l’opinion allemande nationaliste comme les responsables du Diktat de Versailles. La propagande extrémiste en accuserait bien plus volontiers les « traîtres juifs », socialistes et communistes ou pacifistes.
Hindenburg, vieille gloire de Tannenberg, était resté en poste seulement pour assurer, victime du devoir militaire, le sauvetage de l’armée en retraite. Recourant aux services des officiers prussiens contre les communistes, les sociaux-démocrates n’avaient pas manqué de saluer son mérite militaire. Le chancelier socialiste Ebert avait lui-même harangué les troupes de Berlin, les proclamant « invaincues ». Il avait fait graver sur le monument élevé à la gloire des étudiants berlinois morts au combat l’inscription « invictis victi victuri ». L’armée n’avait pas pour seul objet d’assurer l’ordre social, mais de préparer la revanche.
Telle était la tâche assignée aux quatre mille officiers triés sur le volet, héros des champs de bataille des Flandres et de Picardie, de Russie et d’Italie : reconstruire une armée avec des armes et des principes tactiques nouveaux, mais ancrée sur le prussianisme aristocratique du corps des officiers plus que jamais indépendant de la politique. La loi militaire de 1921 a bien supprimé le grand état-major, selon l’exigence du maréchal Foch. Mais le luthérien von Seeckt, qui a le culte de l’État fort et centralisé, substitue aux quatre armées distinctes de jadis, obéissant individuellement à l’empereur, un organisme unique, aux ordres du président du Reich et organisé avec méthode par le Chef der Heeresleitung. Il devient ainsi le responsable de l’ordre en Allemagne.
L’armée, grâce à von Seeckt, reprend rapidement la situation en main. La Reichswehr devient un État dans l’État. L’état-major reparaît sous la forme d’un corps fermé, exclusivement militaire, qui regroupe toutes les directions, le Truppenamt. Von Seeckt lui impose d’abord le
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