Les Poilus (La France sacrifiée)
culte de la technique. Il écarte les agités, les nationalistes bouillonnants et intransigeants, ceux qui ont suivi, avec Hitler, Ludendorff et von Lüttwitz dans leurs tentatives de putsch. Il garde les officiers de valeur totalement apolitiques, mais foncièrement anticommunistes, les fidèles de Hindenburg, ceux qui ne cherchent que le redressement de l’Allemagne dans la patience, mais aussi l’obstination.
Il introduit dans l’état-major de la Reichswehr cent quatre-vingts officiers d’aviation qui font construire des prototypes essayés en Russie, selon des accords secrets conclus avec les bolchevistes. Les jeunes apprennent à devenir pilotes dans les prétendues écoles de vol à voile, déclarées associations sportives. Von Seeckt engage un officier prussien, fils de général, Heinz Guderian, pour étudier le problème des blindés auxquels Ludendorff avait eu le grand tort de ne pas croire en 1918. En 1929, Guderian demandera la création d’une brigade de chars autonome, agissant en étroite synchronisation avec l’aviation et l’infanterie d’assaut.
La guerre change de caractère, elle s’appuie sur une logistique beaucoup plus importante qui exige rationalisation, planification, concours étroit avec la recherche industrielle et avec les forces productives. La liaison est constamment établie avec les responsables industriels pour étudier la mise en fabrication rapide des armements les plus récents dès que l’ouverture politique le rendra possible. C’est en 1927 que la firme Krupp achète un tiers des actions de la firme suédoise de canons antiaériens à tir rapide Beaufor. En 1929, l’étude des prototypes est achevée. En 1932, von Schleicher, ministre de la Reichswehr, a imposé l ’Umbau, le plan de réorganisation de l’armée. On peut passer à la phase suivante du réarmement et du rétablissement du service militaire. Hitler y pourvoira.
Le seul obstacle du traité de Versailles est en effet la limitation des effectifs et l’interdiction des armes lourdes. Il a été tourné sur tous les points, sauf pour la mise en fabrication de masse qui exige la révision des accords internationaux. En 1930, l’industrie est prête. La rationalisation est accomplie dès avant la crise de 1929, au prix de deux millions de chômeurs en Allemagne. L’industrie lourde, dont les débouchés mondiaux se rétrécissent par l’autarcie des grands ensembles, attend avec impatience les commandes du réarmement.
Elle s’est organisée pour peser d’un poids prépondérant sur le pouvoir politique, soutenue, après 1926, par Hindenburg élu à la présidence du Reich. « Nous avons l’industrie ! » s’était écrié von Seeckt quand il avait appris la réduction drastique de l’armée allemande par le traité de Versailles en 1919. Groupées dans l’Union nationale de l’industrie, les firmes se concentrent, leurs représentants au Parlement s’allient aux agrariens pour constituer des groupes de pression dès les années 20. Les grandes entreprises sont sorties enrichies de la crise monétaire et financière des années 1921-1923. Elles tirent profit de l’inflation en accroissant les ventes à l’étranger payables en devises fortes, non rapatriées en Allemagne, et décident de traiter directement avec les Alliés en commercialisant la dette pour sortir du drame de l’occupation de la Ruhr. Elles maintiennent intact le matériel économique tout en pulvérisant les institutions paritaires mises en place avec les syndicats en 1918.
Le docteur Schacht a restauré le mark quand von Seeckt redressait la Reichswehr, profitant largement des crédits anglo-saxons. Le retour de la confiance internationale a permis de lancer avant la crise de 1929 dans l’industrie le programme de rationalisation destiné à l’exportation, car le marché intérieur allemand était incapable d’absorber les excédents de produits finis. Les bons esprits prophétisaient le retour de l’Allemagne sur la scène mondiale grâce à son modèle de production planifiée, de mobilisation industrielle totale qui annonçait celles du régime nazi. L’AEG assurait la distribution de l’électricité à tout le pays, l’IG Farben tenait l’ensemble du marché des produits chimiques, comme Siemens pour le matériel électrique.
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Le traité de Versailles n’avait pas gravement affaibli la capacité industrielle de l’Allemagne, amputée cependant du dixième de sa population d’avant 1914 et du
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